
Le rapport du jury, quelques critiques littéraires et deux longues interviews
- Aleid Truijens à l'occasion de Vanuit mijn raam gezien et de Gisteren in Frankrijk (2009)
- Le prix Max Pam 2005 - (HP / De Tijd - 7 janvier 2005)
- Max Pam à propos de Oprechter Trouw (HP / De Tijd - 26 mai 2001)
- Tom van Deel à propos de Alle verhalen tot nu toe (Trouw - 27 mars 2004)
- Arnold Heumakers à propos de Op oude voet (NRC Handelsblad - 17 octobre 2003)
- A. Alberts sur Bon voyage, Napoléon (Hollands Diep - 11 septembre 1976)
- BIBEB (Vrij Nederland - 11 mars 1989)
- Michel Boll (extrait de Bzzlletin 144 - mars 1987)
Aleid Truijens
dans le quotidien Volkskrant le 29 février 2009Madame Testut connaît les petites histoires de tout le monde
Madame Testut est au courant des petites histoires de tout le monde. Deux approches, un seul et même village : Le Roc en Dordogne. Le couple Romijn Meijer / Mollison a écrit avec affection à son sujet. Elle, sur une culture villageoise qui disparaissait, lui sur les éternelles souffrances familiales en province.
Lui était un écrivain néerlandais dont on entendait beaucoup de gens dire depuis longtemps qu'il était fortement sous-estimé, peut-être même "incompris", et en tous cas trop peu lu. En attendant il a rassemblé autour de lui une grand masse de fidèles lecteurs et l'admiration des critiques. Elle est originaire d'Australie, traductrice et germaniste. Ensemble, ils ont acheté en 1964 une petite maison de vacances en France, dans le Quercy. Là où le narrateur, dans les histoires de Henk Romijn Meijer, parle de "ma femme", il évoque quelqu'un qui ressemble fortement à Elizabeth Mollison, la femme avec laquelle l'écrivain s'est marié en 1956, l'année de ses débuts. Le petit chien de la fiction remue la queue comme leur petit chien. La plupart du temps, c'est un "nous", un impersonnel, une solide dualité qui séjourne l'été dans un village de France où il ne se passe presque rien.
Depuis peu, ce "nous", Henk et Molly, est devenu un "je".
Henk Romijn Meijer est décédé en février 2008, trois ans après que le
couple se soit établi de manière permanente en France. L'écrivain est
décédé dans la région dans laquelle se situe une grande partie de son oeuvre,
comme son roman le plus connu, "Mijn naam is Garrigue", paru en 1983.
Le village dont il est question dans beaucoup d'histoires courtes de Meijer est Le Roc, une commune
agricole au bord de la rivière Dordogne, Romijn Meijer nomme ce village La Coutonnade.
Elizabeth Mollison a aussi écrit un livre parlant de la vie au Roc : "Le Roc, un village en
Dordogne" (1978).
Elle y décrit l'histoire du village, les générations de paysans qui faisaient du vin,
pressaient les noix pour l'huile, engraissaient des oies et récoltaient le tabac.
Elle a fait cela avec une telle connaissance des choses que son livre a été traduit et
édité en français.
Actuellement les éditions Augustus ont sorti une réédition du livre de
Mollison, sous le titre "Gisteren in Frankrijk" - parlant de cette culture villageoise disparue -
en même temps qu'un livre avec des morceaux choisis tirés
des "nouvelles françaises" de son mari : "Vanuit mijn raam gezien" (Vu de ma fenêtre).
Deux approches, un seul village. Si on ne vous l'avait pas soufflé, vous serait-il venu à l'esprit
que le Roc et La Coutonnade était un seul et même lieu, avec les mêmes habitants ? La différence est
dans le regard des observateurs. Chez Mollison, il s'agit de la disparition de tous les vieux métiers,
chez Romijn Meijer les personnages se trainent au long de leurs jours d'activité ou de leur retraite
interminable, s'interrompant seulement les moments où les bouteilles sont débouchées.
C'est seulement s'il peuvent se faire facilement de l'argent, ou s'il peuvent se venger d'un vieil
adversaire, que les habitants du village se remuent.
On voit chez Mollison une culture paysanne qui fait ses derniers pas suite à la marche impitoyable du temps
- industrie, mécanisation, tourisme, exode rural - dans l'oeuvre de son mari, le temps importe peu.
Chez lui, on y trouve l'éternel retour des afflictions dans les familles de province : des
frères qui se chamaillent, des soeurs catherinettes, des conjoints aigris, des patrons de
café alcooliques, des artisans calculateurs, des veuves riches et heureuses et l'idiot du
village comme cerise sur le gâteau.
Querelles au sein une communauté fermée qui conduisent à faire prospérer la
méfiance et admettre la résignation.
Les hommes se désavouent mutuellement, ce qui ne veut pas dire que l'on n'a pas besoin
d'être aimable.
Chez Romijn Meijer, les dialogues fonctionnent efficacement. Au hasard nous y trouvons toujours ces
sortes de scènes :
"Eh oui, les vendanges !," dit monsieur Levet. "Comme autrefois, les vendanges ont commencé"
"Eh oui !," renchérit sa belle-soeur.
"Je me rappelle encore très bien l'époque où les femmes d'ici, avec un panier sur la
tête, revenaient de la colline ! Elles ne sont plus aussi travailleuses aujourd'hui !
Rien ne va plus et avec tout ce qu'on voit..."
"Rien ne va plus," la rabroue monsieur Levet.
"Vous voudriez que les gens aient encore le même gros panier sur la tête... "
"Oui !," répond la belle-soeur. "C'est un gros tracteur qu'ils ont tous, au lieu d'un
panier sur la tête, mais les gens en sont-ils devenus plus heureux pour autant ?"
"Bien sûr qu'ils sont plus heureux !" rétorque monsieur Levet et il grimace de
réprobation.
"Et comment qu'ils sont plus heureux !"
Chez Elizabeth Mollison, nous étudions en détail les vendanges et la viticulture, la principale
source de revenus jusqu'à la deuxième Guerre Mondiale.
Mais quand les vins bon marché d'Algérie ont été importés en masse,
l'importance de la viticulture a décru et les paysans se sont mis à cultiver le tabac et le maïs.
"Aujourd'hui les vendanges ne durent que quelques jours, mais les villageois qui ont plus de 40 ans
se rappellent avec nostalgie l'époque à laquelle les vendanges constituaient un des temps forts
de l'année," écrit Mollison.
Laissant peu de place à l'imagination des intitulés comme 'noix', 'canards et oies' et 'truffes et
champignons', ressort un cortège avec des détails sans fin sur le raffinement du savoir-faire
français, clairement toujours vivant, sans autre but que de régaler tous les palais du monde.
Ici et là les gens se livrent aussi dans le livre de Mollison.
Avant tout leur vieille voisine, madame Blanc avec son excellente mémoire, est une source essentielle
d'anecdotes sur "autrefois", mais aussi sur les accointances et les intrigues dans le village.
Il y a aussi dans les nouvelles de Meijer une part de fougue mais aussi de contradiction comme madame Testut.
Elle sait précisément qui est en faillite au village, qui bat sa femme, qui est alcoolique ou
dans un asile d'aliénés.
Une fois, Mollison et Romijn Meijer ont raconté la même histoire, à propos de leur petit
chien Knecht, qui était disparu quelques jours, leur causant beaucoup de chagrin. Ils ont fini
par faire quelque chose à l'encontre de leurs convictions : ils ont consulté une voyante locale.
Celle-ci a "prédit" où se trouvait le petit chien et leur a assuré qu'il
reviendrait à leur maison sain et sauf.
A vrai dire, c'est dommage qu'ils racontent cette anecdote ensemble, parce qu'il y avait matière à
différence entre les deux auteurs, entre la narration et l'interprétation, entre la franchise et
l'auto-dérision.
Le livre de Mollison a quelque chose de suranné ; il est solidement documenté, écrit sans détours,
sans fiction, comme on n'écrit plus guère maintenant.
Maintenant nous exigeons aussi des écrivains qui écrivent sur le réel, qu'ils mettent dans leur récit des
faits. Mollison livre une quantité incroyable d'informations sur la meilleure truffe, la manière de vinifier,
les plantes médicinales, et les meilleurs champignons, mais il n'y est pas question de faire dans le
sensationnel ou la rigolade.
A lui seul le titre de l'histoire de Meijer sur le petit chien disparu, Een bijbelvertelling, est
déjà le regard d'une ironie supérieure. La prédiction de la voyante se réalise,
naturellement : "La porte n'est pas ouverte qu'il rentre sans cérémonie en filant
directement à l'endroit où son bol de nourriture devrait être.
Puis il remue la queue vers nous qui l'avions déclaré mort et laisse s'abattre sur lui
un déluge de caresses, des larmoiements dont il n'aimait guère se repaître.
D'où sors-tu donc ? (...) Agenouillé près de lui, nous essayons de trouver un indice sur
son pelage, si bien qu'il retrousse ses babines, menaçant."
Romijn Meijer écrit sur des gens imparfaits qui font de leur mieux, même si cela ne marche jamais.
"J'écris peut-être à cause d'un étonnement continuel, d'une incrédulité
renouvelée à voir que les gens sont ce qu'ils sont," a-t-il dit une fois. A vrai dire il
défie dans ses nouvelles toutes les règles d'une bonne histoire courte. Il n'y a la plupart
du temps pas d'histoire, pas d'intrigue à proprement parler. Pas de temps fort, pas de point culminant,
pas de fracas.
Les histoires commencent n'importe quand et après quelques dialogues désordonnés,
des évènements mineurs et des ricanements ironiques nous font déraper vers le drame.
Un écrivain qui se contente de cela pour écrire des nouvelles impressionnantes, parfois
angoissantes, ne peut qu'avoir un grand talent :
Romijn Meijer est un observateur à l'oeil acéré pour épingler les défauts
et les petites vanités, y compris pour lui-même ; quelqu'un qui met précisément
le doigt sur les moments gênants, sur l'embarras et la fierté mal-placée.
Un sublime styliste, qui, en plus de 50 ans, a développé une agréable et nonchalente
manière de raconter.
Il y a cinq ans, Augustus a édité un livre rassemblant les nouvelles de Romijn Meijer,
Alle verhalen tot nu toe. Ce nouveau recueil de nouvelles françaises comprend seulement
une histoire qui n'était pas insérée dans le précédent recueil,
le diner d'Estrade - une très belle histoire soit dit en passant.
Quiconque n'ayant jamais entendu perler de cet écrivain trouve ainsi en une fois la
totalité de ses nouvelles, et a désormais une chance de faire sa connaissance.
Ironiquement, à cette dispariton de la culture ancienne de leur Roc chéri, Mollison et Romijn
Meijer y participent à leur façon, même s'ils n'en sont pas personnellement responsables.
Parce qu'il existe des gens comme eux, intellectuels anglais ou hollandais et quelques français
venus des centres urbains, qui rachètent des maisons inoccupées.
Ils y passent d'abord seulement leurs vacances et plus tard leurs vieux jours ; c'est ainsi
qu'une collectivité laborieuse et prospère devient un lieu de villégiature endormi.
Mais ce sont précisément ces étrangers qui se montrent capables d'écrire
sur leur deuxième patrie avec une affection dont un autochtone pourrait rarement se montrer capable.

Max Pam Award
En janvier 2005, le troisième Max Pam Award a été attribué à Henk Romijn Meijer - (HP /de Tijd du 7 janvier 2005)
Dernièrement Geert Mak a dit que le 21ème siècle pourrait être parfois un siècle très sombre.
On a aujourd'hui des périodes de prospérité et des périodes d'adversité, et devant nous il pourrait bien
y avoir une période d'adversité. Paul Rosenmöller, qui interrogeait l'historien alors qu'ils parcouraient
dans un petit bateau les canaux d'Amsterdam, le regardait d'un air désappointé.
Peut-être notre foi en le progrès nous a rendu aveugle vis à vis d'un probable déclin.
Le pessimisme est passé de mode depuis longtemps, même si j'ai l'impression qu'il fait l'objet actuellement
d'un certain renouveau. Pourtant un nouveau déclin de l'Occident paraît encore loin.
photo © Leo Potma
Dans la littérature aussi, on a des périodes de bonne et de mauvaise fortune.
Personnellement, j'ai une théorie à ce sujet, mais elle n'est pas très sérieuse, qu'un écrivain
a les meilleures chances de devenir un Grand Ecrivain s'il naît dans les 20 premières années d'un siècle.
La carrière d'un tel écrivain peut alors couvrir tout le siècle.
Il (ou elle) grandit dans les années du début de siècle, son écriture s'épanouit au milieu,
et, dans les années 70 et 80, son talent atteint sa plénitude.
Les dernières années du siècle sont alors aussi celles des dernières années de l'écrivain.
Multatuli est né en 1820.
Au vingtième siècle, cela a été le cas de trois grands écrivains hollandais :
Willem Frederik Hermans (1921), Gerard van het Reve (1923) et
Harry Mulisch (1927). Et je n'ai pas évoqué Karel van het Reve (1921),
Rudy Kousbroek (1929) en Jan Wolkers (1925).
Les autres écrivains ne sont pas sans aucune chance d'en faire partie, mais comme vous pouvez le
constater, cela aide bien d'être né dans la troisième décennie.
Suivant ma théorie, le plus grand écrivain (écrivaine) du 21ème
siècle verra le jour entre 2020 et 2030. Je ne verrais probablement pas ses débuts,
hélas. Ce qui fait que nous devons avoir un peu de patience avant qu'un nouveau grand
talent n'éclose, l'année passée a été suffisamment claire à ce sujet,
comme doit le constater le jury du Max Pam Award.
Mais d'abord encore un mot sur ce prix et ses règles d'attribution. Le Max Pam
est attribué au meilleur livre paru l'année précédente. Les lauréats
précédents ont été
Leon de Winter pour God’s Gym et P.F. Thomése voor Schaduwkind
- L'Enfant ombre - 2004. Le jury du prix se compose uniquement d'une seule personne.
Les lauréats ne sont pas obligés de se soumettre au rituel télévisé
des nominations et des humiliations afférentes. Il n'y a pas de nominés à ce prix.
Cependant on apprécie quand le lauréat veut bien assister à une petite et modeste
réunion pour recevoir son prix. Le gagnant a le droit d'être empêché pour
des raisons qui lui seraient propres, maladie cardiaque, aversion du jury, contrariété,
cela est aussi accepté et le prix lui est alors remis à domicile.
le Parker 51 avec son inscription
Le trophée est constitué, tout comme les années précédentes, par la version moderne du Parker 51. C'est la Rolls Royce des stylos-plume. La plume est en or 18 carats. Le capuchon est en argent figurant la silhouette de l'Empire State Building.
Hélas, l'année 2004 n'a pas été un grand millésime pour la
littérature néerlandaise. Il est paru beaucoup de livres mais peu d'une qualité
satisfaisante.
Le jury en a été parfois découragé. Il était facile de
répondre à la question sur le plus mauvais livre de 2004. Deux titres se font remarquer à ce
sujet, mais le gagnant est sans conteste Hemelrijk de l'artiste-chanteur Thé Lau. On y trouve
dedans des phrases comme :
"Pendant des heures, je peux marcher droit devant moi, puis je peux obliquer, parce qu'une étoile,
une planète, mon patron, me barrent un instant mon chemin. En cours de route, je frétille dans les
trous de vers, mon cortège derrière moi, pour augmenter le tempo du voyage au-delà de la
vitesse de la lumière.
Je me laisse presque éjecter de façon orgasmique et je me retrouve des années plus tard."
Ces frétillements ne peuvent pas séduire le jury : c'est un mauvais exemple aussi pour
la jeunesse.
Une autre catastrophe parue en 2004, est "Denkbeelden uit een dubbelleven", une biographie de Karel van het Reve par Ger Verrips. Les héritiers ont relevé plus de mille erreurs dans cette biographie. cela s'appliquerait à tout le travail, mais on peut craindre que Verrips ait fermé pour le moment la porte à un nouvel essai. Nous devons donc attendre l'"Oeuvre Complète", pour laquelle il a tout de même été suffisamment réuni d'éléments pour que l'on puisse l'amorcer. Après délibération, le jury s'est résolu à ne pas créer de prix de consolation.
Suivant une vieille tradition hollandaise, le jury a de nouveau fait une large sélection de livres qui émergent d'une manière ou d'une autre. Cette liste s'avère être composée cette année de douze titres, trois de moins que l'année dernière. Le jury a le mince espoir que certains de ces douze titres seront encore lus en 2053, l'année où le plus grand écrivain du 21ème siècle fera ses débuts avec un extraordinaire roman. A moins qu'à cette époque la langue du pays soit devenue l'anglais ou le turc.
Absence étonnante de Cees Nooteboom, qui a publié l'année passée "Paradijs verloren" - "Perdu le paradis". Le jury n'était pas particulièrement impressionné et qualifia cette oeuvre récompensée par le prix "PC Hooft" d'exemple de "beau travail d'écriture". Par ailleurs le jury tient à attirer l'attention sur deux titres dont la parution date déjà de 2003, mais qui ont vraiment entamé leur diffusion en 2004 : "Een schitterend gebrek" - Un charmant défaut - de Arthur Japin et "Allah weet het beter" de Theo van Gogh. Ce livre de Japin, distingué par le prix Libris, est considéré par le jury comme l'un des livres les plus surfaits des années passées, tandis que le livre "Allah weet het beter" est indiscutablement le livre le plus sous-estimé.
Au final, dans l'ordre alphabétique des écrivains, les meilleurs livres, suivant le jury, publiés en cette année 2004, sont :
- "Hajar en Daan" – Robert Anker
- "Stoffer & blik" – Jeroen Brouwers
- "De joodse messias" – Arnon Grunberg
- "Lotte Weeda" – Maarten ′t Hart
- "Je vriendschap is werkelijk onbetaalbaar" – W.F. Hermans
- "Mijn auto′s" – Boudewijn van Houten
- "Drie slechte schaatsers" – Tim Krabbé
- "Bankvlees" – Jan van Loy
- "Alle verhalen tot nu toe" – Henk Romijn Meijer
- "Het reizen vereist sterke zenuwen" – Bob den Uyl
- "Kind van de Oost" – Hans Vervoort
- "De verhalen 2" – L.H. Wiener
La moisson est très variée cette année, comprenant 4 romans, 5 recueils d'histoires, une nouvelle, un essai et un recueil de correspondance. A remarquer le nombre réduit de romans dans cette longue liste. Nous pouvons même parler d'une tendance. Bien que le roman puisse être considéré comme le genre le plus élevé de la littérature, cette forme d'art semble de moins en moins s'épanouir aux Pays-Bas. Ce qui saute aux yeux en premier, c'est la présence de deux oeuvres publiées à titre posthume : "Je vriendschap is werkelijk onbetaalbaar" de W.F. Hermans et "Het reizen vereist sterke zenuwen" de Bob den Uyl. Le jury a apprécié les deux livres et les deux écrivains auraient pu recevoir le Parker 51 s'ils n'avaient pas été morts. Il y a hélas dans les règles non écrites des Award le fait que l'on peut faire l'éloge d'une oeuvre d'un écrivain décédé, mais que l'on ne peut pas la récompenser. Le jury préfère avoir pour la cérémonie un vivant plutôt qu'un mort.
A éliminer aussi "Drie slechte schaatsers" de Tim Krabbé. Il s'agit d'une très
belle histoire, mais le jury a estimé qu'avec à peine cinquante pages, ceci constituait une taille
trop mince pour être récompensée. Ce qui vaut pour "Drie slechte schaatsers" de
Krabbé, vaut aussi pour "Kind van de Oost" de Hans Vervoort : une histoire impressionnante, mais d'une consistance trop ténue
pour être distinguée par un prix prestigieux comme le Max Pam Award.
Il en reste encore huit.
Dans cette grande soustraction, nous en arrivons hélas à "Mijn auto′s" de Boudewijn
van Houten.
C'est un recueil d'histoires particulièrement amusantes à propos de toutes les autos
que Van Houten a conduites, mais le jury a trouvé que c'était seulement un essai sur un hobby.
Nous devons aussi éliminer l'essai de Brouwers "Stoffer & blik".
Le jury l'a lu avec beaucoup de plaisir, parce qu'il ne se lasse pas des vieilles rancunes, mais ici on éprouve un plaisir de lire plus parce qu'il inspire confiance plutôt que par une curiosité dévorante. Comme en 2003 avec "De verhalen 1", L.H. Wiener intègre avec "De verhalen 2" la grande sélection, mais le jury pressent que la vraie percée se fera en 2005 avec "De verhalen 3".
Il en reste encore cinq en lice. Nous en arrivons maintenant à "Bankvlees" de Jan van Loy. Nous n'avons pas parlé de cet étrange roman dans ce magazine, à tort, tout comme le jury qui n'a remarqué "Bankvlees" que plusieurs mois après sa parution. Lors d'une prochaine occasion, il sera encore temps de penser à cet écrivain, mais en attendant son nom constitue une bonne surprise de 2004. Hélas la surprise va s'estomper. "De joodse messias" - "Le messie juif" - d'Arnon Grunberg est à mettre dans le même lot. Suivant le jury "De joodse messias" est écrit avec une "conséquence de fer" et tout amène à un unique objectif de destruction. Le message semble être : vous voulez un Messie, comme vous voulez, mais alors vous aurez en plus l'anéantissement en cadeau. Le jury a été fasciné par ce roman, mais ne le considère pas comme l'un des meilleurs livres de Grunberg.
On en arrive aux trois derniers : "Hajar en Daan" de Robert Anker, "Lotte Weeda" de Maarten ′t Hart et "Alle verhalen tot nu toe" de Henk Romijn Meijer. "Hajar en Daan" est certainement le meilleur livre qu'Anker ait publié jusqu'à maintenant. Avec ce roman, il a convaincu le jury qu'il n'était pas seulement un critique, mais aussi un authentique écrivain. Bravo ! Dans "Lotte Weeda", Maarten ′t Hart, de l'avis du jury, n'avait encore jamais autant lié la vie et la mort. De plus ′t Hart montre dans ce roman qu'il a amélioré et progressé dans sa technique de narration. On n'est pas surpris sans raison et on ne rencontre plus constamment des fautes de style.
Toutefois le prix Max Pam de cette année n'est pas échu à Robert Anker et encore moins à Maarten ′t Hart mais à Henk Romijn Meijer, pour son recueil "Alle verhalen tot nu toe". Henk Romijn Meijer est un extraordinaire styliste. "S'il était coureur cycliste, on le verrait bien dans une course contre la montre : le buste immobile, les jambes pédalant dans une cadence ininterrompue, dans le même tempo du départ jusqu'à moment de passer la ligne d'arrivée. Cela peut ne pas sembler spectaculaire, mais les connaisseurs apprécient et déclarent leur admiration pour sa technique et sa rapidité," selon le jury.
Les histoires de Henk Romijn Meijer sont souvent touchantes et prennent à la gorge par
leur tragique glacial. Son sens de la perfection n'a fait qu'augmenter avec l'âge.
Le jury a souligné qu'il n'avait jamais fait figurer Henk Romijn Meijer dans ses sélections,
mais que ce vrai grand prix lui est toujours passé sous le nez jusqu'à présent.
Avec cette récompense du Max Pam Award, il est mis fin à cette situation.
Le jury tient à féliciter Henk Romijn Meijer. Et maintenant place à la musique !
Max Pam à propos de Oprechter Trouw
Oprechter Trouw, le nouveau roman de Henk Romijn Meijer, commence de manière
surprenante.
Tard le soir, Hetty rentre de sa conférence philosophique, quand elle tombe sur son mari
Barend, assis dans un fauteuil. Les jambes écartées, le pantalon affalé, le
siège avancé sous la lumière, pour bien voir tout ce qui se passait dans sa
noble besogne masturbatoire.
Choquée, Hetty monte à sa chambre en courant et s'y enferme. Bah, quel désenchantement
pour une soirée qui avait commencé dans l'enthousiasme.
Dernièrement j'ai écrit que Hetty est le mari de Barend, de Barend Fijnvandraat.
Ce n'est pas totalement vrai. Barend en Hetty se sont mariés il y a longtemps, puis ils se sont
séparés il y a bien 25 ans, mais de manière pratique, ils ont vécu ensemble pendant toutes ces années
sous le même toit.
Vivant ensemble de manière séparée dans une maison dont les fondations sont
littéralement pourries.
Inévitablement mais presque de manière inaperçue, ce sont des gens qui ont atteint soixante-dix ans,
mais ils se querellent toujours, se chamaillent, se font enrager, la jalousie supplante
tout comportement rationnel et on a peur de Virginia Woolf.
Il y a longtemps, Henk Romijn Meijer a dit que finalement tout son travail porte sur le déclin,
et si cela est vrai, il a avec son nouveau roman "Oprechter trouw" écrit un livre sur le sujet qui
rend tous ses autres livres superflus.
Oprechter trouw est épais de 442 pages. Par plusieurs aspects, ce livre pourrait faire partie de
la série "Het Bureau" de J.J.Voskuil. Il n'y a pas d'intrigue. La seule idée est que la vie
continue, mais on peut difficilement appeler cela une intrigue ou une trouvaille littéraire.
Tout comme dans "Het Bureau" les évènements et les conversations dans "Oprechter trouw"
sont ordinaires. De plus Hetty a beaucoup en commun avec Nicole, l'épouse de Maarten Koning,
qui peut se mettre en colère à propos de n'importe quoi. Barend semble tout bien considéré
un peu moins ambitieux que Maarten.
Tandis que Maarten travaille à ses oeuvres qui lui semblent guère en valoir la peine,
Barend est un traducteur, ce qui signifie qu'il doit à tout moment être au service du
travail d'un autre.
Mais "Oprechter trouw" est bien plus riche que "Het Bureau". Cela vient en premier lieu
du fait que Romijn Meijer est, en tant qu'écrivain, plus éclectique que Voskuil.
La pluie grisâtre de Voskuil a chez Romijn Meijer toujours quelque chose de pétillant,
quelque chose d'un humour contenu, quelque chose d'authentiquement tragique.
Il y a cependant encore une grande différence. Dans "Het Bureau" il n'y a pas d'amour charnel,
aucun érotisme et pas de sexe. L'absence de ces activités humaines - l'absence de leurs
conséquences, à savoir l'existence d'enfants - rend "Het Bureau" clairement maigrichon.
Bien qu'il y ait quelques ressemblances dans l'écriture de Voskuil et Romijn Meijer,
Romijn Meijer commence en fait où Voskuil s'arrête et il va donc beaucoup plus loin.
Barend et Hetty regardent en arrière, bien qu'ils entrent en plein dans les 70 ans de leur vie.
Barend est ce que l'on appelle au Surinam un "Sweetman".
Il est obsédé par les femmes et les femmes sont folles de lui. Il a toujours eu des
amies féminines, il a toujours trompé Hetty, et même maintenant qu'il va sur ses
vieux jours, il a une bonne amie jeunette d'à peine vingt ans. Pourtant il n'a jamais envisagé
d'être arrêté pour pédophilie ou harcèlement sexuel.
Hetty, autrefois mannequin, est restée une femme attirante. Quand il lui revient aux oreilles que
Barend a une aventure, elle n'est pas restée sans rien faire. A un moment donné, elle l'a
quitté d'elle-même et elle est allée vivre avec un certain Peter qui l'a enfermée
dans une petite pièce.
Là-bas, elle n'a finalement plus supporté cela. Elle est revenue auprès de Barend, qui a
salué son retour très amicalement, sans renoncer le moins du monde à ses propres escapades.
Cela peut apparaître comme un petit miracle que, dans cet univers agité de relations et de sentiments,
Barend et Hetty aient en plus élevé trois enfants : les jumelles Nathalie et Natasja, et
le dernier-né Benjamin en tournée quelque part au Canada comme musicien de jazz, et qui n'ont
jamais entendu parler de rien.
"Oprechter trouw" décrit l'évolution des relations d'un couple tout au long d'une vie.
Romijn Meijer fait cela avec des moyens qui vont d'une sorte d'ironie jusqu'à une
affliction acerbe.
On a là cet aimable, écoeurant Barend qui est en train de traduire l'Amant de Lady Chatterley
et qui tient Hetty au courant des pensées qui lui viennent durant la traduction. Barend aime parler
poésie avec Hetty, mais pour une raison ou une autre ces conversations déraillent toujours,
comme cette fois où Barend avoue à son épouse, également son ancienne épouse,
qu'elle ne l'a jamais vraiment excité.
De telles scènes, on en rencontre continuellement dans "Oprechter trouw". Cela prête
souvent à rire, si cela ne s'avérait pas si triste, on dirait de vrais "clichés".
Le fait que Romijn Meijer est resté influencé par De Reve qui a écrit "De Avonden",
ressort vraiment dans "Oprechter trouw".
La fin du livre de Romijn Meijer est émouvante, comme il sied à une épopée sur le vieillissement.
Cela commence quand Barend veut donner un grand dîner à l'Amstel Hotel. Sa traduction
de l'amant de Lady Chatterley est parue et Barend veut fêter joyeusement cet évènement
avec ses amis et surtout avec ses bonnes amies.
Une dernière blessure au mécontentement de Hetty, qui peut difficilement supporter sans cesse
la présence de la nouvelle conquête de Barend, la jeune Luzinde. Et alors, tout ce qui pouvait
aller de travers s'est mis à aller de travers.
D'ailleurs, Romijn Meijer apporte la preuve qu'il peut ouvrir grand les vannes de la satire rancunière.
L'éditeur qui s'occupe de la traduction de l'amant de Lady Chatterley n'était pas invité
au petit diner à l'Amstel Hotel, "parce qu'il ne s'est pas proposé pour m'aider à payer le repas".
L'éditeur s'appelle Boskamp Jr., en lui je reconnais Wouter van Oorschot, fils du vieux
Van Oorschot, qui était autrefois l'éditeur de Romijn Meijer. Manifestement l'écrivain
a voulu, après toutes ces années, régler un compte, à travers le fils, avec le vieux
Boskamp.
Mijn naam is Garrigue, sorti en 1983, était le dernier roman
important de R. Meijer. Romijn Meijer avait alors quitté les éditions Van Oorschot pour
Meulenhoff.
Cela a pris en tout cas un certain temps avant que Romijn Meijer retente sa chance.
Bien que "Mijn naam is Garrigue" ait suscité d'excellentes critiques, cela n'a pas
entrainé des ventes faramineuses. Tom van Deel a dit un jour que Romijn Meijer restait un
écrivain à découvrir.
Il y a du vrai là-dedans et maintenant que Romijn Meijer est lui-même aussi âgé que le
personnage principal de son dernier roman, cela vaut toujours.
Si vous cherchez le nom de Romijn Meijer dans les bouquins sur la littérature néerlandaise, vous y trouverez
tout au plus quelques lignes et son nom ne figure même pas dans le Dictionnaire de la culture "Cultureel Woordenboek."
Raison de plus pour recommander chaudement "Oprechter trouw".
En conclusion, je dois signaler une erreur, petite mais ennuyeuse.
Dans le roman, Johan Cruijff est mentionné comme quelqu'un qui aurait dit :
"Chaque avantage a son inconvénient." Ce est inexact. Johan Cruijff a dit : "
Chaque inconvénient a son avantage", ce qui a naturellement plus de sens et bien mieux ainsi.
(Max Pam - HP \ De Tijd, 26 mai 2001)
Tom van Deel à propos de Alle verhalen tot nu toe
L'année dernière (2003), est paru le dixième recueil de nouvelles de Henk Romijn Meijer, intitulé de façon pertinente "Op oude voet". Ce recueil figure désormais dans le volumineux volume "Alle verhalen tot nu toe", un hommage aux 50 années d'exercice du métier d'écrivain, ce qui est sans précédent. Tout a commencé en 1954 avec l'attribution du prix Reina Prinsen Geerlig pour le recueil intitulé "Consternatie".
Remerciements pour le prix Reina
Prinsen Geerlig
Ce prix pour jeunes écrivains avait été attribué précédemment à
Reve pour "De Avonden", à Mulisch pour "Archibald Strohalm" et à Campert pour
"Berchtesgaden".
Des prédécesseurs qui n'étaient pas mauvais.
En 1956 "Consternatie" est imprimé et il se passe alors du temps avant que Romijn Meijer
ne sorte une nouvelle oeuvre : en 1960 "Het kwartet", un roman sur la musique et en 1963 le
recueil de nouvelles "Onder schoolkinderen".
Ce dernier consiste en totalité en cette sorte d'histoires dont l'écrivain a le secret,
des histoires en effet sans descriptions, mais basées sur l'expression orale. Il n'est pas
question des agissements, des actes des personnages, mais de ce que l'on peut appeler l'expression
verbale des tempéraments.
Romijn Meijer est toujours resté fidèle à cette conception un peu théatrale de
la narration.
Il place les gens dans une histoire et les laisse parler. Romijn Meijer est, en ce qui concerne
le langage parlé, un auditeur particulièrement sensible et attentif.
Son intérêt se porte vers les motifs sous-jacents que les gens véhiculent quand
ils se querellent. Les mots échangés, les phrases qu'ils ont, souvent à moitié
lacunaires, les tournures qui cachent quelque chose. Cela l'amène finalement à tout ce qui reste
en "non-dit". Tout le monde ne voit pas d'un oeil positif cette sorte de nouvelles, dans lesquel
le verbal règne.
En réponse aux remarques des critiques sur l'histoire "Dubbel bier" du recueil
"Duivels oorkussen", Romijn Meijer a écrit "Pro domo".
Il écrit : "Naturellement l'histoire porte sur un conflit entre deux universitaires lors
d'une soirée d'étudiants : même le lecteur le moins futé a s'en rendre compte,
je suppose.
A en juger la véhémence avec laquelle le conflit prend son essor et la foule de détails
insignifiants qui sont étalés, ce conflit arrive après une longue amitié
et après avoir eu une longue période d'incubation.
Et ce conflit, à la fin de l'histoire, n'est pas résolu. Pour les conflits,
plus que pour les querelles occasionnelles entre les gens, il n'existe pas de solutions.
Des semblants de solution, de douces illusions, masquent une apparence douce-amère. On peut,
dans certaines situations où l'opposition augmente impitoyablement, découvrir l'existence
d'un conflit, rien de plus."
Alors, c'est ce que fait minutieusement Romijn Meijer en faisant converser ensemble
deux personnes, ou plus exactement l'une contre l'autre, afin qu'elles exposent peu à peu
les raisons profondes d'un insoupçonnable conflit. La psychologie des dialogues est
excellente, mais pas toujours facile à analyser, parce très complexe et souvent imprécise
et floue. Les gens n'arrêtent pas de parler, chaque déclaration allant dans un sens ou un autre,
comme si tout cela n'était fait que pour seulement maintenir la conversation.
Dans les nouvelles de Romijn Meijer, se tiennent des dialogues qui, au sens figuré,
de l'avis de Romijn Meijer, sont des "luttes à mort". Comment son propre travail,
aussi étudié, est-il aussi convainquant que pour tout réalisme
(lui-même est très critique à propos du naturalisme, porté sur la noirceur, une variante
prédestinée du réalisme) l'expression narrative doit être quelque chose de
profond, de ce qui actionne les gens dans leurs rapports réciproques.
Ses nouvelles sont des études de cas des relations humaines.
Dans quantités de cas, les recueils de nouvelles sont en rapport avec cela.
Dans "Onder schoolkinderen" c'est l'univers d'une école à Melbourne en Australie, dans
laquelle, à travers les conversations entre les élèves, les enseignants et d'autres
intéressés, la vision de Meijer ressort de cette fréquentation humaine.
Querelles et haines n'en finissent pas. Mais au fond toutes les émotions ressortent, parce
qu'une telle communauté scolaire est, tout comme le "Bureau" de Voskuil, comme un
condensé de la vie sociale. Et c'est partout la fosse aux lions.
C'est aussi le village en Dordogne, dans lequel se passent les nouvelles de
"Bon voyage, Napoléon", un espace certes jalonné d'un nombre restreint de personnages,
mais cela veut être aussi le reflet de sa vie toute entière. Peut-être ce recueil,
avec ces croquis villageois, est-il, réflexion faite, le meilleur de Romijn Meijer : au moins
j'étais très réjoui lors de sa sortie l'année dernière et maintenant
tout autant de ce recueil intitulé "Op oude voet", cent pages qui traitent à nouveau
des villageois et de leurs relations avec les résidents néerlandais.
Avant cela était parue la nouvelle "De Amerikaantjes", une histoire au ton satirique
sur le naufrage d'une amitié. "Pourquoi racontons-nous tout cela en détail ?"
se demandent les narrateurs (c'est un couple). "Cela peut servir d'exemple,
peut-être, l'exemple du cours d'une vie." Cette universalité constitue
l'arrière-plan de toute la prose de Romijn Meijer.
Dans le recueil "De prijs per-vel", il est question du monde d'un écrivain qui est
au coeur de chaque histoire. Cela amène par conséquent, souvent de manière
cocasse, des confrontations avec les éditeurs, les lecteurs et les critiques. Ailleurs dans
le recueil, les histoires se passent aux Etats-Unis, ce qui nous vaut d'autres scènes typiques,
comme celles dans le milieu des musiciens de jazz.
Si on parcourt la totalité de l'ouvrage comportant, s'il vous plaît, onze cent pages, on en vient
à la conclusion que Romijn Meijer a écrit, sous une forme imaginée et stylisée, une sorte d'histoire
de sa vie.
De "Consternatie", dans lequel on peut lire différents souvenirs de la guerre et de la
libération, jusqu'à "Alle verhalen tot dusver", la vie de l'écrivain défile,
certes pas totalement de façon parallèle, c'est quelquefois en rétrospective, mais c'est
toujours perceptible. Avec "Op oude voet" nous nous retrouvons au temps présent.
La dernière histoire du recueil montre le côté humain de Romijn Meijer. En 2000, il a logé
un ancien combattant canadien, qui avec beaucoup d'autres allait célébrer la libération pour la
dernière fois. C'est une histoire émouvante, le défilé avec 'Ralph'. Quand il repart au Canada,
l'histoire se termine comme suit : "Nous ne le reverrons plus - ni son visage plein de
chagrin, ni ses décorations, ni son béret. Nous n'entendrons plus sa voix attristée.
Encore quelques temps et ses horribles souvenirs disparaîtrons en même temps que lui. Il avait fait
revivre la libération [...]."
L'émotion retenue de Henk Romijn Meijer est la plus belle chose que l'on puisse lire.
(Tom van Deel, Trouw, 27 mars 2004)
Arnold Heumakers à propos de Op oude voet
Henk Romijn Meijer, auquel on fêtera l'année prochaine ses 50 années d'écrivain,
écrit une prose qui ne lui fait aucune publicité. Mais ce qu'il écrit est bien souvent
très bon.
Dans son nouveau recueil les personnages hauts en couleur sont le reflet de lui-même.
Pour un critique, il n'y a que peu de mérite à gagner en se penchant sur l'oeuvre de Henk
Romijn Meijer (1929).
Cela n'est pas difficile, énigmatique ou hermétique, il n'y a pas quantité de 'niveaux de lecture',
les complications philosophiques n'existent pas, cela ne pullule pas de renvois érudits qui
échapperaient à plus d'un lecteur chevronné.
Tout le monde peut le lire facilement, un commentaire critique s'avère superflu.
C'est seulement - très souvent au moins - très bon, écrit dans un style alerte et
précis qu'on peut appeler réaliste, mais cependant un réalisme plein d'ironie et de
traits satiriques.
L'auteur y aborde la condition humaine, le déclin et la déchéance, autant dans la vie
personnelle que dans les relations aux autres, qui ne sont que rarement des thèmes,
à la formulation abstraite, que l'on peut extraire de ses nouvelles et romans, toujours très
concrets.
En fait pas quelque chose non plus qui nécessite beaucoup de commentaires. Qui ne peut
s'identifier à de telles thématiques ? Chacun en a fait l'expérience.
Romijn Meijer est, en bref, un écrivain qui n'offre pas la moindre difficulté à ses lecteurs.
Il écrit une prose sans chichis, une prose qui n'attire pas l'attention sur lui ou
d'une manière évidente la prose qu'il aime.
Tout au plus s'autorise-t-il de temps en temps une petite plaisanterie, comme dans le petit
roman "Leuk dat je nog even langs bent geweest" (1993). Il y laisse le narrateur, rédactrice
d'une maison d'édition, avoir envie 'd'une histoire légèrement ironique'- peine
perdue, parce que, comme elle peut elle-seule l'évaluer : "personne ne lui écrit" - alors
qu'au même moment on est en train de lire cette histoire légèrement ironique.
Avec tout cela, Henk Romijn Meijer n'est pas devenu une figure éminente du paysage littéraire,
néanmoins on célèbrera en 2004 ses cinquante années d'activité
d'écrivain. En 1954 il lui a été décerné le prix Reina Prinsen Geerlig
pour son recueil de nouvelles 'Consternatie' qui sera publié deux ans plus tard - malgré
tout son écriture n'est pas restée complètement inaperçue.
Dans les années soixante, au siècle dernier, il jouissait d'une certaine réputation
de polémiste (les pièces en question sont réunies dans "Naakt twaalfuurtje"
paru en 1967), et dans les années 80 il goûte son plus grand succès auprès du public
avec "Mijn naam is Garrigue" (1983), un beau roman documentaire sur une affaire d'assassinat
au 19ème siècle qui s'est passée dans le village de France où l'écrivain a une petite résidence.
Cela relève vraiment d'une ironie paradoxale que Romijn Meijer se fasse le plus remarquer avec
ce roman dans lequel lui-même apparaît le moins. Ses autres romans et nouvelles ont,
pour la plupart, plus ou moins un contenu autobiographique. Romijn Meijer est un écrivain
qui préfère rester près de chez lui, même s'il a déménagé
plusieurs fois dans sa vie.
En Australie, où il a travaillé comme professeur de français - nous devons à cette période
les histoires de "Onder schoolkinderen" en 1963 - aux Etats-Unis - où plusieurs nouvelles
de différents recueils se passent - et aussi en France où il a une petite maison,
à l'exception du roman précité, entraînant un grand nombre de croquis et d'histoires.
Par ailleurs l'histoire formant titre du recueil "Duivels oorkussen" (1965) est la
conséquence d'un séjour dans un hopital après une fracture du genou, et
nous rencontrons, dans le petit roman "Leuk dat je nog even langs bent geweest",
l'hospitalisation, la mort et la femme de ménage de la mère de l'écrivain.
Toutefois il est évident, aussi autographique que puisse être la matière de ses romans et nouvelles, que cela n'est jamais pour écrire une autobiographie. Son travail n'a rien de la littérature de l'épanchement. De toute la teinture autobiographique de ses romans et nouvelles émerge à peine une personnalité caustique et marquante. Dans le récit incontestablement autobiographique de "Consternatie", il nous montre un enfant timide et angoissé, dégoûté de la monotonie protestante à la maison, auquel le jazz fait envie et désireux de "sensation" mais les deux doivent venir des autres. Par exemple d'une petite amie avec un père complètement bigot - une des raisons pour lesquelles ces premières nouvelles font fortement penser à Gerard van het Reve, particulièrement à cette nouvelle "Werther Nieland", très admirée par Romijn Meijer.
Quand dans son premier roman "Het kwartet" (1960), dans lequel intervient un alter ego comme personnage principal - l'histoire de ce quatuor en bataille auquel il appartenait est racontée de son point de vue - il met son caractère à nu. Hans est paranoïaque, par inquiétude et jalousie, continuellement absorbé dans ses pensées et perspectives, et justement à cause de cela, lui échappe totalement ce qui se joue entre les trois autres membres du quartet. Voilà les manques de notre perception - il y a toujours quelque chose, et souvent beaucoup, qui nous échappe - mais aussi vrai que cela soit, la combinaison de l'aveuglement de Hans et de la fourberie des autres ne change rien dans le drame poignant que Romijn Meijer doit avoir à l'esprit, parce qu'aucun des personnages ne ressort suffisamment.
Cependant l'auteur lui-même semble en avoir retenu quelque chose : la nécessité de
faire dorénavant mieux attention aux autres. A quel point cela s'exprime-t-il, nous le voyons dans
la nouvelle "Onder schoolkinderen", où quelques écolières sournoises âgées
d'une douzaine d'années font, sans peine, tourner bourrique leur professeur de français ('Mr. Meijer').
L'enseignant, également narrateur de l'histoire, reste largement dans l'ombre, mais les
fillettes sont nettement mises en lumière par les dialogues révélateurs, quasi
ingénus.
Il n'en va pas autrement dans la nouvelle "Duivels oorkussen". Le personnage principal et alter ego
Dik Robijn peut certes exprimer sa haine contre un médecin impitoyable, mais le centre
d'intérêt se trouve dans les autres patients - parmi lesquels le poète J.C. Bloem ! -
les médecins et les infirmières, et dans ce petit enfer sur terre - ce palais de la vengeance
où rien ne restait caché - qu'ils forment les uns avec les autres.
Le narrateur s'efface de plus en plus derrière ce qu'il a raconté, l'observateur dans
ce qu'il a observé. Cela a pris, je pense, un certain temps avant que Romijn
Meijer saisisse que cela constituait sa grande force. Il est remarquable, s'agissant de lui,
de voir étalée dans l'essai "Pro domo" - inclu dans "Naakt twaalfuurtje" -
une histoire intime, dans laquelle il est question de personnages, qui obligés par les circonstances,
jettent un "oeil sur eux-mêmes", un regard dans l'abîme [...], qui reste le plus souvent
fermé et condescendant. Ceci est remarquable, parce que Romijn Meijer et ses personnages
ne portent habituellement jamais sur eux un tel regard introspectif.
Romijn Meijer n'est pas un écrivain qui remue publiquement le couteau dans ses plaies.
"Je ne raconte jamais rien à personne", écrit-il quelque part sur lui-même.
Cela peut-être une question de timidité, mais tout aussi bien d'orgueil (plus souvent
l'envers de la timidité). En se concentrant sur les autres, il reste lui-même hors d'atteinte.
Et ce n'est pas tout : le type d'observation ironique dans lequel Romijn Meijer excelle, contient
toujours une touche de supériorité à l'égard des autres. Nous rencontrons là une
forme d'orgueil, comme dans ses essais polémiques des années soixante. Pourtant ses
romans et nouvelles ne sont jamais insupportables.
Du polémiste distingué qui brocardait Kees Fens, lisait Jan Wolkers comme Droogstoppel
(Batavus Droogstoppel) une leçon et mettait William Burroughs à la poubelle,
on n'en retrouve guère la trace.
Je ne sais pas si l'on peut parler dans cette relation d'une augmentation de mansuétude. Cela
semble vite doucereux, bien que le venin ne semble pas totalement disparu, et c'est juste une touche
de venin, parfois une nuance pleine d'esprit, qui met la prose de Romijn Meijer sous tension.
La différence tient probablement dans le fait qu'il s'intéresse sincèrement
aux personnages de ses nouvelles et romans - les victimes de ses polémiques l'ont seulement
énervé.
"En tant qu'écrivain, je pars des gens, pas d'une idée", lisons nous dans un essai sur son travail d'écrivain - "Het boek en ik" de 1986 - "J'écris peut-être en raison d'un étonnement continuel, d'une incrédulité constante à voir que les gens sont comme ils sont". Je veux bien le croire, puisque sans l'étonnement et l'incrédulité, il ne serait vraisemblablement jamais devenu un portraitiste extraordinaire dans ce qui se révèle être son meilleur travail. Quelqu'un qui se retrouve presque l'égal des contemporains comme J.J. Voskuil ou Helga Ruebsamen - des âmes soeurs aussi à certains autres égards.
Sans le masque de la fiction - mais Romijn Meijer ne s'est jamais préoccupé à ses dires de la différence entre fiction et réalité - il prouve son talent à dresser des portraits dans son recueil "Een kransrozen en een zakdoek" (1988). Les portraits critiques de Gerard Reve - "Toen Reve nog Van het Reve was" - et de Joke Kool-Smit ne passent pas inaperçus, parce qu'ils ont de manière perceptible la facture du poison. Ils sont écrits après coup, après que leur amitié se soit refroidie, et ceci a aiguisé le regard, sans que l'amitié ancienne soit reniée. Ces portraits sont brossés pour chacun de manière nuancée et subtile, et ils donnent simultanément une vision consistante du portrait : dans le cas de Reve en insistant sur les railleries et le théatre, et dans le cas de Joke Kool-Smit - avec laquelle Romijn Meijer était ami avant qu'elle ne s'érige en oracle féministe - en insistant sur sa cécité à l'égard de tout ce qui se passe sous son nez - un mal qui atteint beaucoup d'idéologues.
En détail et à mon avis, avec plus de liberté, Romijn Meijer dans son dernier roman "Oprechter trouw" (2001), qui peut être décrit comme le portrait interminable et extrêmement cocasse d'un mariage dans ses dernières années, même si les deux conjoints sont officiellement divorcés. Que ce soit jamais très éloigné de la réalité, est évident quand vous vous rendez compte que c'est le couple d'Adriaan Morriën et sa femme Guusje qui est dépeint. Tous les deux, mais avant tout Adriaan, ce sont des gens dont on peut à peine croire qu'ils sont tels qu'ils sont.
Dans ce roman le narrateur se révèle aussi être un personnage, mais parce que nous n'arrivons pas à savoir sur lui plus qu'il est le fils disparu de la maison, cela fait guère de différence avec les autres histoires, dans lesquelles l'écrivain apparaît comme narrateur. Dans "De Amerikaantjes" (1989) il s'abrite derrière un "nous" - l'écrivain et son épouse - et de cette bouche commune nous entendons l'histoire de cette amitié orageuse avec Nancy et Tony. En fait il y a à nouveau deux portraits : celui d'une ancienne chanteuse pas très futée, et celui d'un égoïste aussi riche que pingre, dont le caractère possessif empoisonne et mine leur amitié.
Bien sûr cela vous apprendra aussi quelque chose sur la personne qui établit le portrait, mais c'est secondaire. La forme du "nous" apparaît davantage comme une curiosité, à vouloir même nous décourager : cela n'amène rien sur le narrateur, mais sur l'histoire. Et il est vrai qu'une telle histoire peut exister. Elle nous apparaît à travers le filtre de l'ironie, comme si le narrateur ne pouvait se résoudre à raconter de manière précise comment cela se passait entre Tony et sa Nancy - tandis qu'il laisse entre-temps le lecteur tout supposer.
Nous savons tout de ce "nous" en se référant à "Bon voyage, Napoleon" (1976), un recueil de nouvelles et de croquis sur le village de Dordogne dans lequel Romijn Meijer et son épouse ont leur petite maison de campagne. Dans de nombreux cas cela concerne le portrait de villageois pittoresques, remplis d'anecdotes du quotidien, comme la fugue d'un chien - quelque chose qui met en émoi toute la population du village. Dans le nouveau recueil de nouvelles "Op oude voet" Romijn Meijer continue la série, et à nouveau quelques chiens s'échappent, suscitant l'émotion des villageois.
Remarquable est le fait que les narrateurs dépassent les bornes, en tout cas suivant leurs propres dires, en ayant un comportement carrément méchant : une voisine, avec laquelle ils sont "en guerre", est insultée dans la rue et tirée la nuit de son lit. C'est parti d'un motif futile - à nouveau une histoire de chiens - mais il peut s'en suivre de grandes conséquences, tout comme dans le monde extérieur au village. En exagérant - en parlant d'une "guerre" avec madame Lagrange - Romijn Meijer indique implicitement de quelle manière le grand se reflète dans le petit et vice-versa.
Cela ne signifie pas qu'il ne va pas en profondeur dans ce qu'il raconte. Dans son passé
de polémiste, Romijn Meijer écrivit un jour, à propos de son poète américain
favori William Carlos Williams, que celui reproche un manque de profondeur à Williams n'a pas encore atteint
sa surface.
C'était dit de façon amusante, mais comme défense, c'était à peine à prendre au
sérieux.
Une "profondeur" existe, par exemple celle de cet abîme même, devant lequel Romijn Meijer pour
quelque raison que ce soit, recule aussi.
Dans ses livres il manque une dimension qui a permis à d'autres écrivains de produire leurs
meilleurs livres - je pense à Dostojevski ou Beckett, mais aussi à Hermans ou Reve.
L'art de la suggestion, que possède comme nul autre Romijn Meijer, a aussi ses limites.
Dans les nouvelles de "Op oude voet", il avance - au sens figuré - sur un vieux pied.
Ce sont des histoires dans lesquelles la précarité est presque constamment présente,
incarnée par des personnages qui sont à peine l'ombre, certes colorée et vivante, de lui-même.
Le narrateur le fait par le biais d'aperçus rapides sur leur vie passée. Mais un
rapide coup d'oeil n'est pas la même chose que porter un regard approfondi sur l'abîme.
Par un long survol, Romijn Meijer reste à distance de cet abîme.
Avec peut-être cette simple pensée qu'on ne s'empresse pas pour de telles choses.
Je ne le forcerai pas, en supposant qu'une chose pareille se soit trouvée en mon pouvoir.
Parce que dans ces histoires - qui, soit dit en passant, ne se déroulentt pas toutes autour de leur petite maison en France, mais essaiment vers New York, Amsterdam et ses environs, vers le monde du jazz, l'une des grandes passion de Romijn Meijer, alors que le recueil se referme avec le magnifique portrait d'un vétéran Canadien, un peu perdu dans la vie, venu célébrer l'anniversaire de la Libération des Pays-Bas - il y a plus que le nécessaire, ce qui fait de leur lecture une petite jubilation littéraire.
On ne doit juste pas avoir une aversion insurmontable pour la vieillesse. La teneur autobiographique de l'écriture de Romijn Meijer fait que ses histoires suivent progressivement l'âge de l'écrivain. Nous nous plaçons maintenant à un peu plus de 65 ans. A propos de "Oprechter trouw", le narrateur raconte que "vieillir de manière positive" doit être considéré comme le thème principal de ce roman et le titre "Op oude voet" doit être aussi pris au sens littéral : cela fourmille de vieux dans cette nouvelle histoire.
Cela sera-t-il suffisant pour plaire aux jeunes lecteurs ?
A cette question obsédante, les éditeurs, les journaux, et les programmateurs peuvent en perdre
le sommeil.
Henk Romijn Meijer, je présume, en aucune façon.
Il a raison, parce que les littérateurs ne trouvent nulle part une plus grande augmentation de
leur public que parmi la proportion toujours croissante des personnes âgées.
Ils ont le temps, l'argent, l'instruction et, si ce n'est pas d'eux-mêmes mais après
avoir été un peu forcé, le besoin de lire un livre après un autre.
Naturellement le désir d'identification n'est pas la seule et même pas la plus importante
raison pour laquelle on se plonge dans la littérature, c'est pourquoi la dernière chose
que je voudrais serait de dissuader la jeunesse, mais quiconque cherche à s'identifier à celà et dont
l'âge de la retraite est arrivé, se ferait un sérieux tort à passer à côté de cette
oeuvre récente de Romijn Meijer.
Cet écrivain mérite un avenir prééminent.
(Arnold Heumakers, NRC Handelsblad, 17 octobre 2003)
Albert Alberts à propos de Bon voyage, Napoléon
Brive, ou plus précisément Brive-la-Gaillarde, se trouve en France à quelques cinq cents
kilomètres de Paris.
L'adjonction "la Gaillarde" ne veut vraisemblablement pas dire que la ville soit à comparer à une
fille solide et joviale. Brive aurait été au Moyen-Age une place fortifiée et
les places fortifiées avaient en ce temps-là des surnoms de cette sorte. De ces fortification,
il n'en est resté guère plus qu'un boulevard circulaire autour du centre-ville actuel.
Mais quelques éléments ont été ajoutées : une énorme
installation ferroviaire, plus être plus étendue que celle d'Amsterdam-Muiderpoort plus Diemen.
Pourquoi est-ce aussi grand et étendu, à première vue cela ne saute pas aux yeux. Mais
dans un deuxième temps, cela se comprend. En effet de grands trains y arrivent et en partent. En premier lieu,
il y passe l'express de Paris vers les Pyrénées. Et ensuite une nuée de trains locaux
et régionaux. Direction Tulle - direction Uzerche - direction Arnac-Pompadour - direction Terrasson
et quelques autres encore. Et pour finir un train pour Souillac, qui poursuit vers Gourdon et même
vers Cahors, mais Gourdon est dans notre cas suffisant.
Parce qu'à Gourdon, en face de l'église habite madame Cantemerle et qu'elle a aussi un don de double
vue.
Un don qu'elle a utilisé pour trouver Knecht, le chien que recherchait H. Romijn Meijer.
Entouré de collines, quelque part entre Souillac, Payrac et Gourdon, se trouve un petit village
qu'il a nommé La Coutonnade. Tout cela pour dire que cela existe vraiment, parce que les gens
sont vivant dans les histoires villageoises de Meijer, comme cela s'entend dans cette région,
les hommes, les femmes, les enfants et les employés. Nous rencontrons un homme : "Il se mit à
rire, parce qu'il riait toujours...". Une femme, qui est toujours pragmatique : " Payez à
l'avance et en espèces, sinon "bon voyage, Napoléon" !" Un enfant sur un terrain,
où l'on joue aux boules : "Yvette, une gringalette de 4 ans, était assise sur son derrière
dans le sable". Un brigadier de gendarmerie, qui ne met presque jamais d'amendes, mais qui est
envoyé par ceux de Souillac : "Nous ne ferons jamais un procès-verbal pour cela alors
que l'on vient juste de changer la signalisation.
Nous mettrons peut-être un avertissement."
L'écrivain, son épouse et son chien viennent depuis des années dans ce village de
Dordogne. Ils en parcourent tous les environs immédiats. Ils connaissent les gens, leurs
qualités et leurs défauts.
Ils vont aux champignons ; on leur offre à boire ; ils assistent aux enterrements ; ils échangent
des cadeaux ; ils entendent parler du partage des héritages.
Ce sont de vraies histoires aux deux sens du terme. Tout d'abord, parce qu'elles reflètent de cette
façon une vérité comme cela s'entend : quelque chose avec la force d'un cliché issu d'une
mémoire photographique. Et ensuite, parce que la perception est convertie en des mots et des phrases
qui font une description de l'ensemble aussi claire et évidente que cela est possible.
Et c'est particulièrement réussi.
(A. Alberts, Hollands Diep, 1976)
BIBEB - Elisabeth Maria Lampe-Soutberg - dans un entretien avec Henk Romijn Meijer
"T'ai-je déjà raconté," dit-elle choquée, "que Herb, quand nous nous sommes mariés, ne savait pas que l'on devait être très attentionné avec un chien ? Qu'un chien a droit au plus grand amour possible ?" Extrait de l'histoire East Coker, tirée du recueil Bang weer.
Henk Romijn Meijer avec Tantivy, 1975
photo © Elizabeth Meijer Mollison
Côte à côte sur le canapé. A mes pieds et aux siens : Tarwe et Topsy.
Que faites-vous quand quelqu'un les rabroue ?
"Alors c'est à cette personne de s'en aller. Avoir des chiens favorise une bonne sélection."
Tarwe se lève, frotte sa tête au poil roux contre ma main.
"J'ai une nièce qui est passionnée de reptiles. Elle a, dans un grand terrarium, six, sept, peut-être même
huit serpents. Quelques amis ne voulaient plus venir chez elle, par peur. Une peur très ancienne.'
Qu'y avait-il comme sorte de serpents ?
"Un python, un boa constrictor et quelques autres encore dont je ne sais plus le nom."
Tarwe s'allonge. Je dis que je peux m'imaginer qu'un python puisse faire peur. Et notez que j'ai une photo, "sur laquelle on me voit entouré par un python de 4 m de long."
Un miracle que l'on ne soit pas écrasé.
"Ils ne le font que s'ils sont affamés ou si on les laisse
tomber." Légèrement désapprobateur mais rougissant par timidité.
Ce python vous entourait-il vraiment ?
"Sauf mon bras gauche, de ce fait je lui tenais la tête en l'air. Un python n'aime pas avoir
la tête en bas. Il se compose d'un gros muscle allant de la tête à la queue. Quand ils serrent
celui-ci, vous pouvez encore vous dégager mais on doit commencer par la queue, jamais par la
tête, sinon ils vous enserrent à mort.
Leur peau est faite d'un cuir magnifique.
Celle-ci était amoureuse, comment dit-on, en chaleur. Leur peau est alors d'un rose splendide.
Quand ma nièce loge chez nous en Dordogne, elle lache les serpents dans l'herbe.
Dans le pré ils sont vulnérables, leur seule défense est leur rapidité."
A-t-elle uniquement des serpents ?
"Non, tiens-toi bien, huit chats, une sorte de labrador et un bulterrier."
"Certainement pas." Très méprisant. "On pense aux pitbulls, qui ont une effroyable réputation, mais ce sont leurs maîtres qui sont mauvais. Ce sont ces maîtres que l'on doit jeter aux lions. On peut rendre n'importe qui méchant, moi y compris."
Tu n'es pas méchant ?
"J'ai des périodes de méchanceté. A mon idée, ce n'est pas de mon fait."
"Va t'asseoir, debout, assis. T'as la gueule d'un haddock".
C'est ce que tu fais gueuler au personnage principal dans 'Onder schoolkinderen'.
Tout comme vous, le personnage principal donne des cours de français à des jeunes filles
en Australie. Il met en retenue l'une d'elles, Gail. Il la trouve d'une laideur repoussante.
Tandis qu'il la réprimande, la gamine fixe, humble et embarrassée, l'estrade.
"Elle me faisait enrager. Et se mettre en rage est humain. Mais je ne persistais pas dans
ma propre sévérité parce que je n'y croyais pas et n'y attachais aucune importance".
Un collègue traite ces filles de salopes, de garces sournoises.
"C'était une mise en garde. On ne doit pas rester avec une jeune fille dans une salle de classe.
Comme elle ne m'attirait pas le moins du monde, j'ai pris le risque d'avoir des ennuis."
Qu'est-il arrivé alors ?
"On est convoqué chez le directeur pour rendre des comptes. J'ai employé une fois
le grand adjectif australien : bloody c'est à dire "sanglant".
C'était clairement la honte, chacun avait ce mot sur les lèvres.
Mais la seule fois où j'ai dit cela en classe, les stupides gamines se sont précipités,
à la vitesse de leurs petites jambes, chez le directeur. Alors que je ne les avais jamais dénoncées."
Il se lève rapidement et sort de la pièce pour préparer du thé. Tarwe et
Topsy le suivent joyeusement.
J'examine le vieux grammophone et les oeuvres de Herman Gordijn, Sal Meyer, Van Tongeren et
d'autres sur tous les murs. Les livres sont dans une longue étagère basse. Il revient
avec Tarwe et Topsy sur les talons, en avançant prudemment, tenant à deux mains un plateau sur lequel
tout est impeccablement rangé.
"J'ai lu votre entretien avec Aat Verhoog," dit-il. "Ce qu'il a dit sur la passion me laisse perplexe :
"J'ai eu le bonheur d'avoir été plusieurs fois dans ma vie follement amoureux et je
voudrais bien l'être encore." Quand je lis ceci, je me dis : moi pas du tout. Une telle
passion, je trouve cela un rien adolescent. Je trouve que c'est se parodier soi-même."
Cela ne vous arrive plus ?
"Heureusement non. J'aurais complètement échoué. Tout se passe toujours autrement que je
le prévois. Une énorme passion et ensuite le soufflé retombe.
La suite : c'est un tas d'ennuis. Tu poses la question à juste titre, cela ne t'arrive plus.
Je veux dire, on ne peut pas parler d'un choix. Au moment où l'on pense choisir, cela a déjà eu lieu.
Ce que l'on appelle un choix, est quelque chose de raisonné à postériori.
Je trouve que la passion n'est pas stimulante. Vous allez poser des exigences, vous serez très
possessif. Je préfère garder un peu de recul. Ne pas s'approcher trop près.
Un peintre - oui, peindre est sensuel, un écrivain doit être en paix dans tête."
Pourquoi as-tu appelé ton dernier livre De Amerikaantjes ?
"Cela m'a semblé drôle." Visiblement soulagé. "C'est une sorte d'écho aux Titaantjes."
(livre de l'écrivain Nescio)
Vous étiez amis avec les "Amerikaantjes" (petits américains), Nancy - chanteuse
et épouse de Tony, richissime propriétaire d'une maison de disques - mentionne votre
amitié comme un coup de foudre.
Une sorte de passion amoureuse. Qui m'a surprise, je trouve Nancy et Tony très ennuyeux.
"Ennuyeux n'est pas le mot qui convient à mon sens dans ce cas. Bien sûr ils sont exécrables,
mais l'histoire est celle de la déconfiture d'une amitié. Ceci peut être
comparé avec la désintégration d'un mariage. C'est triste et décevant
de s'apercevoir que les gens s'avèrent moins sympathiques que l'on pensait. Le retrait peut
avoir plusieurs causes telles que le manque de respect et de compréhension vis à vis de ce que
l'on est. C'est la menace pesant sur votre vie privée.
J'ai tourné et retourné longtemps cette histoire avant d'adopter cette forme narrative,
sans fil chronologique."
Nancy en Tony sont venus habiter en France juste à côté de vous. Il vous imite en tout, est
terriblement radin, égoïste, c'est un braillard. Et pourtant vous ne vous êtes jamais
vraiment disputés.
"Me lancer dans de vraies querelles n'est pas dans mon caractère."
Quand Tony commença à demander pourquoi quelqu'un avait mis dans son placard à provisions une
mystérieuse bouteille bleue et que vous suggérez qu'il y a dedans de l'acide
chlorhydrique, je me dis, cela va se gâter, mais hélas, rien ne se passe.
"Je trouve cela très bien qu'il y ait une attente et que l'on reste sur sa faim. Si cela se passait,
ce serait au rabais. J'ai écrit ce qui s'est passé."
Erreurs
Vous parlez des raisons pour lesquelles vous racontez cette histoire de manière aussi
détaillée :
"Afin que cela puisse servir d'exemple, peut-être d'exemple de la façon dont cela se passe dans la vie."
Et à quel point vous, vous pouvez vous tromper ?
Impassible. Se détournant de moi.
"Je suis toujours extrêmement impressionné par nos amis français.
Ils ont une petite ferme, et quand ils sont venus loger chez nous à Amsterdam,
ils se sont comporté dans cette compagnie assez inhabituelle pour eux avec une aisance naturelle.
Les "Amerikaantjes" agissent comme un virus dans un système dans lesquels ils n'ont pas leur place.
La manière dont ils se comportent est un exemple de quelque chose de typiquement américain."
Vous déclarez vos erreurs avec "Qui peut résister à la tentation de la nature et
du caractère de détourner le talent."
Maintenant il se met à parler rapidement de Tony, "un type vraiment génial, il fabriquait des claviers
et des microphones fabuleux, il savait énormément de choses, il faisait des arrangements musicaux.
Nancy avait une belle voix, pas d'une grande puissance, mais d'un pétillant inimitable.
Mais quand elle s'arrêta de chanter, et qu'il ferme sa maison de disques, les qualités qui étaient
utiles dans son travail devinrent gênantes. Tout devait être enregistré, très obsessionnellement
et il bernait Nancy. Il l'empêche d'avoir une place dans un cours magistral qui aurait
été dirigé par la plus haute sommité du monde dans le domaine des mimiques et gesticulations pour
l'exécution de chants de musique baroque."
Lui est un tyran original et elle, une esclave sotte.
"Il n'est pas rare que des dirigeants ayant réussi professionnellement se montrent après leur
retraite des tyrans,"dit-il. "En outre, si on déborde d'énergie comme Tony, cela tourne à
la paralysie."
Quand a commencé la mésentente ?
"Il ronchonne sur de petites choses dont on sous-estime au début les conséquences.
Le grille-pain que Tony a emporté pour le réparer et qu'il n'a jamais rendu, le morceau
de contreplaqué qu'il a piqué, la bouteille de whisky qu'il a emmenée en douce
chez lui. Sa crainte d'être démasqué comme étant un homme riche ou
simplement d'être reconnu."
Pas de disputes, mais quoi alors ?
"Je suis très cool, je laisse s'établir une sorte d'indifférence. Pour cela je
suis fort.
Je ne suis en aucun cas pour régler quelque chose en discutaillant."
Ton amitié avec Joke Smit s'est aussi détériorée.
Cela ressort de ce que tu a écris sur elle (Een krans
rozen en een zakdoek - nouvelles.)
"Mais Joke ne s'est jamais aperçue de ce refroidissement"
Comment a commencé cette détérioration ?
"Un moment important a été... j'avais envoyé mon roman
Lieve zuster Ursula avec comme d'habitude une imposante dédicace.
Elle n'en a jamais donné de nouvelles.
Beaucoup plus tard elle a dit à Molly qu'elle avait trouvé le livre très bon.
Ce que je trouve bizarre."
Mais il s'est bien passé quelque chose auparavant ?
"Maintenant voilà, Joke avait été pendant 8 ans une professeur modèle en français.
Elle portait de longues jupes et de petites lunettes, elle était collet monté, bégueule,
quelque chose de rigide, mais quand même très sympathique.
Et tout d'un coup, elle se sent obligée de remplacer ses petites lunettes par des lentilles de contact,
sa jupe longue par une mini."
Pourquoi y est-tu aussi opposé ? Dans une de tes nouvelles, j'ai lu que les filles
s'enlaidissaient en portant exprès une minijupe
Entêté, il continue : "Naturellement on peut porter une telle jupe. On doit avoir
une démarche souple. Mais la question est pour moi principalement dans le changement soudain.
Supposons que je me mette tout à coup à m'habiller comme Aat Verhoog, en costume
trois-pièces avec chapeau !
Mais bon, cette mini-jupe.
Joke n'était pas la seule à en porter. Chacun le faisait parce que c'était à la mode, mais
la mode est terriblement ennuyeuse.
Et alors elle devient membre du conseil municipal d'Amsterdam.
D'un seul coup, Joke, la prude, se met à employer des mots grossiers.
J'ai une aversion pour les grossieretés.
Elle savait que là, elle ne parviendrait à rien, mais bon, si vous vous y exposez, vous ne devez pas
vous plaindre d'être critiquée.
Si on vous fait des critiques, c'est de votre faute.
Les hommes font des blagues salaces par ennui, elles ne visent pas spécialement quelqu'un.
Quand sa fameuse pièce sort en 1967 dans De Gids, j'ai dit
à quelqu'un : très bien, mais cela n'enlèverait-il pas de sa valeur si on remplaçait la femme
par un homme. Combien d'hommes ne préféreraient-ils pas mieux se rouler sur le sol chez eux
en poussant des cris de gamins plutôt que d'être assis devant une machine cliquetante ?
Je ne peux pas dire cela de Joke.
Exagérer est ma passion et ma vie, mais cela existe cependant.
Quatre-vingts pour cent de tout travail est assommant."
Lentement, avec moins de passion, il parle du père de Joke qui était un adversaire
reconnu de l'alcoolisme. "Le besoin de s'engager dans un but précis, une cause assez limitée
est ainsi ramenée à sa famille."
"Je trouve que les féministes ont, concernant quantité de sujets, sérieusement raison. Dernièrement quelqu'un de la Banque Amro, quand il a Molly au téléphone, lui indique qu'il voudrait me parler. Alors que c'est Molly qui est bien plus au fait de ces questions. Si un tel type dit cela, c'est qu'il a un monde de retard.
Mais on ne doit faire aucune plaisanterie sur Joke. J'ai été, à propos d'une pièce que j'avais écrite, attaqué par les féministes, au téléphone et par courrier.
Si vous vous mettez à adorer quelqu'un, vous le placez sur un piédestal, vous déniez le fait qu'il ait vraiment existé comme une personne."
"En France, où nous avons une petite maison, je connais une jeune femme, fille de petits paysans." Parle avec chaleur des devoirs pour le lycée qu'elle faisait dans une petite cuisine. Et de ses études techniques, après le baccalauréat.
"Elle était très compétente, avait trouvé un emploi, elle devient le patron d'une équipe de 9 hommes. Elle n'a jamais eu un mot de travers de la part de ces hommes. Sais-tu ce qu'elle disait quant elle a commencé ? "Je suis une jeune femme très ordinaire, d'un village, fille d'un paysan, je souhaite que nous fassions du bon boulot ensemble." Un homme, bien plus âgé qu'elle, avait refusé le poste et avait été muté. J'ai pour cette jeune femmee une énorme admiration. Alors je me suis dit, si cette fille de paysan peut faire cela, pourquoi Joke n'y arrive-t-elle pas ? Elle s'est arrêtée à l'apogée de sa carrière professionnelle, personne ne s'était mis en travers d'elle. Le malaise féminin était son guide. Un guide pernicieux.
Maintenant je cite la fin de sa pièce : la rencontre après une longue période de désaffection lors d'un concert. "Bien qu'elle n'ait pas l'oreille musicale, mais c'était un concert de luth, et le luth était à la mode. Nous nous sommes dit au-revoir avec de vagues promesses. Je ne sais pas si elle souffrait déjà de sa maladie, pour moi elle était comme elle avait toujours été : pressée, impersonnelle, un peu aveugle". Je dis que cela exprime sa froideur beaucoup rudement que dans les De Amerikaantjes.
"Quelqu'un m'appelé en me disant, à ma grande surprise, qu'il trouvait De Amerikaantjes très bienveillant." Sourire énigmatique. Mais quelqu'un d'autre le qualifierait de cruel.
Je trouve que Denken aan hoge ramen est une de tes plus
belles nouvelles.
"J'aimerais aussi que tu trouves que De Amerikaantjes n'est pas mal du tout."
Entêté. Rieur. "De Amerikaantjes révèle mon
côté satirique."
La fin de Denken aan hoge ramen est étonnante.
Il se redresse. "Cela aurait été bien, m'ont dit les gens du public, lors d'une lecture que
j'ai faite, que cette histoire finisse par le suicide de Marita. Je pense que ma fin est
bien meilleure. Il avance sur la piste cyclable avec tous ces livres qui sont très lourds.
A l'instant où il est hors de vue du père de Marita, il met pied à terre. Ceci a une signification.
Il a récupéré les livres qu'il faisait lire à Marita et il s'en trouve
accablé. Les livres pèsent comme du plomb.
Les gens veulent souvent qu'une histoire se termine à un point culminant du drame.
Mais un chanteur de blues en finale, laisse toujours sa voix passer du mineur au majeur
comme s'il voulait dire, la vie continue. Dans le flamenco, c'est aussi comme cela."
Rien vu venir
Le père de Marita a plus de 80 ans mais il est plein d'énergie et d'ambition. Ce genre
de personnage est une figure bien connue dans tes histoires.
"C'est un père énergique. Les pères énergiques fixent souvent des exigences élevées
à leurs enfants. Cette histoire, comme toutes mes histoires, est basée sur un fait réel.
La soeur jumelle de Marita est devenue médecin puis s'est ensuite spécialisée. Marita est
tombée dépressive. La rivalité entre les deux soeurs. Le père, après la mort de sa fille,
n'a rien vu de ce qu'il a provoqué. J'ai échangé avec le psychanalyste de Marita. Il ne lui permettait
pas d'écrire de poèmes ou d'histoires. Elle menaça, suivant ses dires, de s'en remettre
aux forces qui la faisaient écrire.
Quand elle ne put plus écrire, la clinique est devenue pour elle un enfer total.
Elle avait des piqures et prenait des médicaments contre sa dépression."
Après un silence, il dit : "Au fond il y a qu'un seul écrivain qui ait mis des mots
sur ce quoi aucun mot n'avait été vraiment mis.
Dubins Lives de Malamud témoigne d'une profonde compréhension
de ce que signifie une dépression.
Molly et moi avons été amis avec Bern Malamud et sa femme."
Tu as écris un beau texte après sa mort en 1986 - joint à Een
krans rozen en een zakdoek. Dans lequel tu te souviens d'une conversation avec lui.
"Oui, il m'avait alors demandé, en toute confiance, à propos de
The Ghostwriter
de Philip Roth. "Qui penses-tu, dit-il, que l'on considère comme le personnage principal ?"
J'ai répondu : "C'est toi, pas vrai ?" Parce que je savais bien que c'était lui. Il m'a dit
alors "Peu importe - c'est un petit livre sans prétentions."
Mais, à mon avis, c'est le meilleur roman de Roth. Ceci est une preuve supplémentaire de la grande
admiration de Roth pour Malamud."
Quand j'ai interviewé Roth, j'ai parlé de la similitude frappante de certaines parties de
Dubins Lives et de The Ghostwriter.
Roth s'en est irrité.
"Les deux romans se passent dans la même région, là où habite alors Malamud, à Bennington
dans le Vermont. Roth avait traîné là et beaucoup repéré. Il est passé chez
Malamud et y a mangé. Nous avons aussi assisté, Molly et moi, à des scènes à table
entre Malamud et son épouse. Roth les a utilisées dans l'histoire imaginaire du
"The Ghostwriter" - L'écrivain des ombres."
Comment trouvez-vous ce que Roth dit dans The Observer à propos
de Salman Rushdie sur la discussion de Rushdie dans son roman The
Facts ? L'invitation à la fin pour diner dès que possible avec lui dans un restaurant
quatre-étoiles ?
"Terriblement américain," dit-il. Moue de la lèvre supérieure.
"Vulgaire".
Vous m'envoyez la photocopie d'une histoire qui, écrivez-vous, signifie beaucoup pour vous.
Vous l'appellez Esther, een oorlogsverhaal - "Esther, une histoire
de guerre", mais en fait cela porte principalement sur Esther.
"Elle était, avant 1940 et pendant quelques années durant la guerre, servante chez nous.
Après la libération, elle se proposait de travailler gratuitement si mon père lui donnait
des leçons d'anglais. Elle était éprise d'un militaire anglais. Ils se sont mariés et le
lendemain du mariage, il s'est tué une nuit dans un accident avec son camion.
Dramatiquement sentimental. Suivant Gerard Reve on doit édulcorer cela, mais je trouve que c'est un
défi.
Je trouve ridicule que l'on ne puisse pas et que l'on ne doive pas raconter la réalité.
J'ai longtemps retourné la question et soudain j'ai trouvé la mise en forme. Un triomphe !"
Il se produit à travers les leçons que lui donne ton père une sorte de connivence mystérieuse
entre Esther et lui.
"Oui, il était question d'un érotisme très prude. Elle avait une dignité naturelle, il faisait l'éloge
de son caractère noble et de sa vraie culture. Il flirtait aussi un petit peu avec les élèves, en
tout bien tout honneur naturellement."
De tes nouvelles, il ressort que l'érotisme est pour lui un terrain défendu.
"Il était effroyablement puritain, très dominateur, strict, renfermé. Directeur de l'école normale
de Zwolle, attaché aux Pays-Bas. "Il transmettait aux élèves l'amour de son
métier."
Grand rire. "C'est ce que l'on a toujours dit de lui.
Je pourrais écrire des livres sur ma jeunesse, mais je ne le fais pas parce que Vestdijk
l'a déjà très bien fait.
Ma gaucherie avec une petite amie s'apparente terriblement à Terug
tot Ina Damman. Mon père ne me permettait pas d'aller avec les filles, nous nous rencontrions
à la piscine d'Hattem. C'était d'une innocence qui n'existe plus, faire un brin de causette, ramasser
des mûres ensemble, faire du vélo côte à côte, se serrer la main comme adieu. Et de retour à la
maison, la voix forte depuis le salon : "Pourquoi es-tu en retard ?" Imaginer une excuse,
un pneu crevé, ce qui était vraisemblable, les pneus étaient mauvais. Nous nous
écrivions. Cela aussi, ce n'était pas permis. Cela prit fin, par ma faute. Une autre fille
s'est interposée. Je pense qu'elle était plus suggestive, sexuellement. Plus tard, j'ai
essayé de me réconcilier avec mon premier amour.
Cela n'a pas marché. Dans Resten aan jou, il y a des poèmes
que j'ai écrits à cette époque pour elle. L'un d'eux commence comme ceci : Le tiroir
gauche est rempli de tes lettres, je les ai lu dix fois à la lumière du jour, je les aies lues
dix fois à la nuit tombée.
Ma mère était névrotiquement dépendante, elle était sous la coupe de
mon père, elle avait besoin de l'être, elle était à la dérive. Elle projetait
ses peurs sur moi.
Quand mes copains venaient, ceux avec qui j'allais faire de la musique, elle m'inondait de recommandations.
Oh la honte ! Alors on imagine comment on peut faire bisquer en retour.
J'étais jaloux des mères de mes copains qui n'étaient pas à poursuivre leurs enfants.
J'étais aussi terriblement exigeant pour moi.
Avoir des enfants... J'ai écrit là-dessus dans une nouvelle histoire.
Pas d'enfants
Passe moi les épreuves. Cela commence avec ce que j'ai dit à une Sylvia accablée
qui disait après une opération chirurgicale : "Maintenant, je ne peux plus jamais avoir
d'enfants".
"Tant mieux, tu n'as jamais vraiment désiré d'enfants."
Cela conduit à écrire de manière passionnée pensées et souvenirs.
Fascinée, je vous en lis un extrait :
"Au fil des ans, nous aimerons de plus en plus cette famille de laquelle nous pouvons souvent nous
retirer imperceptiblement.
Combien de fois n'ai-je pas imaginé, un claquement de doigts et ils s'assemblent autour de la table,
ils me racontent leurs histoires les plus folles, mûris comme le temps les a mûri. Ils ont surmonté
leurs traumatismes, leur naissance, leurs maladies, leur enfance difficile.
Je suis rien, écrit Pessoa, je porte en moi tous les rêves du monde.
Il est bon d'être ensemble.
Le soleil est un peu plus bas, le travail au village peut recommencer. J'ai fait adieu à mon petit-dernier.
Pourquoi suis-je oppressé rien qu'à la pensée de la famille nombreuse que mon père avait
souhaitée (ce qu'il a laissé échapper dans un instant d'inattention)
Pourquoi ne l'avez-vous pas réellement fait, demande une amie.
Et plutôt que de réfléchir à une réponse, me revient en mémoire un poème
intitulé
Growing children, écrit pour toi, Sylvia. Les dernières lignes de ce poème sont :
"One day they corner you and stab you with an ice pick and as your life ebbs away, you watch
your blood stain your carpet." - Un jour ils vous acculent et vous poignardent avec un pic à
glace et, alors que votre vie reflue, vous voyez votre sang tacher le tapis -
L'histoire s'appelle Het verzonnen kind - L'enfant imaginaire.
"Comment trouves-tu cela ?" Tendu, rougissant jusqu'aux oreilles.
Emouvant.
"Je connais un psychiatre," me dit-il en souriant, qui trouve que, du mieux qu'on puisse faire,
cela rate toujours, alors c'est peut-être aussi bien.
La plupart des parents sont trop idéalistes. Mon père était le grand empêcheur.
Quand je râlais auprès de ma mère contre lui
parce que je n'avais pas eu l'autorisation d'aller à une soirée à l'école, elle disait :
"Et dire qu'autrefois il chamboulait tout."
Elle voulait sans doute dire qu'autrefois il était enjoué. Mais quand on avait vraiment besoin
de lui, il était présent, il a eu aussi le courage de faire des choses inconvenantes.
Il était de l'Union chrétienne historique mais après la guerre il fit partie des
premiers hommes du doorbraak - la percée."
Gros rire. " Tous ces termes ridicules ! Il était un garçon de la classe ouvrière,
avait eu une jeunesse très difficile.
Quand je me suis marié, il m'a écrit : "Ta femme a droit à un homme en bonne
santé."
Une lettre pleine d'admonestations, sur un mode de vie sain, des pensées saines et ainsi
de suite.
En deuxième année de collège, j'étais dispensé de gymnastique à cause de mes migraines.
Cela durait parfois des semaines. Cela n'a pas totalement disparu, mais cela s'est fortement
atténué. Vous essayez quand même de travailler, mais c'est difficile, parfois vous faites des fautes
bizarres."
Dans East Coker, une histoire magnifique, quelqu'un dit qu'on mentionne
de lui :
"Lui, un homme d'idéal, un grand intellectuel, très intellectuel, une étoile dans le ciel ?
Lui avec ses spasmes et ses angoisses, la catastrophe qu'il entendait derrière chaque crissement
de frein, les braillements qui le tiraient du lit, le frisson qui le parcourait lentement le matin,
la splendeur de sa "mélancolie" à l'idée de quelque chose d'indéterminé.
Un homme peut-il s'assurer contre quelque chose de plus affligeant ?
Les plumes dont il se pare quand l'esprit se pose sur lui,
un echo écoeurant d'un grand talent de fanfaron.
"J'ai bien des angoisses," dit-il. Les yeux clos. "Quand je repense au déclin de
mon père :
j'ai bien vu le déclin physique, je le voyais bien parce que cela me fascinait.
J'ai peur de la violence physique mais je regarde les combats de boxe. Et les thrillers
à la télévision dans lesquels cela tire de tous les côtés." J'ai appellé
son poème "Het zwemfest".
A propos de l'énorme frayeur quand son père l'a photographié avec un flash.
"J'ai toujours été angoissé. D'une salle dans laquelle se trouvent des gens qui ne me
connaissent pas, de rencontrer des étudiants. Petit à petit, je suis devenu plus solide,
mais cette angoisse n'est toujours pas surmontée.
En Amérique, je jouais une jazz-session avec des noirs. En jazz, tu dois te présenter.
Comme je n'y arrivais pas, un des musiciens m'a dit :
"Tu es toujours aussi timide."
On doit s'imposer.
Les quelques fois où je l'ai vraiment fait, ce n'était pas intentionnel.
Je crois que c'est grace à l'écriture que j'ai lentement surmonté cette appréhension.
Herman Gordijn peint le déclin d'une manière que l'angoisse soit surmontée. Herman
donne au déclin de la vitalité, de l'humour. Regarde ça - sur la couverture d'un de ses livres,
Tweede Druk, une photo d'une peinture de Gordijn
In het zonnetje.
Une femme déformée dans une chaise roulante. Un noeud papillon dans la chevelure, des bas noirs
avec des jarretelles, des talons aiguilles. Sa bouche généreusement avide.
"J'aime bien son travail. Nous nous sommes rencontrés à Drakensteyn, invités par Béatrix et Claus.
Tu te rappelles sa peinture
Maison Krul, cette femme devant un serviteur plein de patisseries. Molly et moi voulions
l'acheter, c'était il y a longtemps, mais elle coûtait trois mille florins, ce qui était
vraiment beaucoup. C'est une des rare choses dans ma vie pour laquelle j'éprouve du regret."
Des mains et des pieds
Sa copine pique un paquet de chewing-gum à un cent.
"Je ne m'en suis rendu compte que plus tard. Pour comprendre une chose pareille, je devais
être seul, sinon mes pensées auraient été trop confuses."
Dans l'obscurité de sa chambre, il vit Joke se faufiler sur les mains et les pieds
vers le kiosque. Elle chipa en passant une poignée de chewing-gum. L'homme derrière
le comptoir poussa un rugissement animal mais il ne pouvait pas bouger.
"J'ai gardé le plus profond silence à propos de cet épisode, principalement parce que
j'occultais vis à vis des autres ce côté non visible, parce que je savais que
personne ne l'aurait comprise et par peur que quelqu'un me tourmente avec cela.
"Pendant des années," dit-il exaspéré, "j'ai trouvé cette histoire pathétique."
"Lord Wanhoop"
Ses Duivelsoorkussen. A propos de la souffrance
insupportable après
un accident de moto. Le professeur moqueur et ses étudiants s'esclaffant à son chevet :
"Les scooters et les motocyclettes sont nos meilleurs pourvoyeurs," énonçait le
professeur. "Envoyez-moi votre femme, je lui dirais qu'elle a épousé un homme
sans aucun fil électrique à l'intérieur," disait ce médecin.
"Lord Wanhoop," raillait une infirmière outrée."
Cela se passait, il y a des années, au Binnengasthuis - un ancien hôpital d'Amsterdam -
"Mais un ami docteur a lu cette histoire aux infirmières. Il leur a dit : "Ce qui est
raconté est la vérité." Un délire de pensées réconfortantes comme
"Vous devez seulement penser que cela aurait pu être plus pénible."
Le vieux monsieur Bloem, qui se tenait alors face à moi dans cette salle, avec des gens de
qui on savait qu'ils pouvaient tout juste payer un petit quelque chose, c'était
le poète Jacques Bloem. "Ma soeur, voudriez-vous me tourner de côté," demande-t-il d'une
voix extrèmement polie. "Vous pouvez-pas le faire vous-même," houspille la soeur.
"Non," dit le poète, "absolument pas."
Je suis fier que ceci, tiré de mon recueil "Duivelkussen", ait
été cité récemment lors d'une conférence médicale sur
la souffrance.
Son amour de la musique, classique et jazz :
"Si quelqu'un me demandait quelles rencontres
ont été importantes dans ma vie, alors je répondrais Duke Ellington ou Django Reinhardt.
J'ai lu ceci chez Philip Larkin : le jazz est quelque chose qui a rempli les meilleurs
moments de ma vie. Cela vaut également pour moi. Le souvenir de ma première rencontre avec
le jazz est certainement aussi fort que celui de mon premier amour."
Pendant des années, il a joué avec passion du violon. Jusqu'à ce qu'une douleur au bras
le fasse s'arrêter. Mais ce fut également suite à la profonde désillusion
décrite dans le
roman Het kwartet - "Le quatuor".
"J'étais le second violon, le premier violon, une jeune fille, et le violoncelliste
étaient emberlificotés dans des disputes d'amoureux. Le premier violon ne voulait plus
jouer. Le quatuor se désintègra. Ce qui a été odieux était
qu'ils ne m'avaient volontairement rien dit. Cela m'a fortement affecté.
Le plus souvent je tiens bon, mais pas cette fois : je n'ai plus jamais joué de violon.
Je suis devenu guitariste.
Je n'ai jamais vraiment fait partie de la vie littéraire et ils me l'ont bien fait savoir.
Entre autres en ne me citant pas.
De ce fait j'ai toujours conservé un emploi. Je ne crois pas que je voudrais me consacrer
uniquement à l'écriture, cela m'apparait trop restreint. Les gens sont extrêmement jaloux
les uns des autres. A l'université, à un moment donné, il y eut une lutte acharnée
pour le pouvoir entre le personnel administratif et les enseignants, dont j'ai toujours pris soin
de me tenir à l'écart."
L'art de la littérature :
"On doit donner un aperçu de ce que l'écrivain veut dire.
Mais l'objectivité n'existe pas. Freeman Dyson, savant atomiste, a démontré
l'importance de l'intuition, le subjectif de la perception. Pourquoi ne prennent-ils aucun exemple
dans la littérature ?
J'ai un peu perdu le contact avec les étudiants. Autrefois, j'avais des groupes pendant
deux ans, mais avec le système américain de merde qui a été mis en place
ici il y a six ans, je les ai seulement treize semaines. En pratique, c'est inhumain."
Topsy en Tarwe sautent en aboyant contre les glaces de la porte du grand jardin dans
lequel des pigeons se sont posés. L'instant d'après, ils se ruent à l'extérieur.
"Nous avons eu plusieurs fois une portée de jeunes chiots," dit-il et il commence à
s'attendrir de la sollicitude de la mère-chien.
"Un jour, c'était en France, j'avais fabriqué une caisse dont je devais réhausser
encore un peu les côtés pour qu'ils ne puissent pas en sauter.
Au milieu de la nuit, j'ai entendu la mère-chien aboyer terriblement.
J'ai sauté hors du lit, me suis précipité en bas. Un chiot avait le cou coincé
entre les deux côtés de la caisse.
La mère gueulait d'un ton que je n'avais jamais entendu de sa part. C'était un hurlement continuel.
Pendant tout ce temps elle se tenait à côté de son petit en danger.
Les bêtes aussi ont des capacités dont on ne sait rien, tout comme les hommes.
On pense connaître quelqu'un, puis il se passe quelque chose d'inattendu et on découvre alors un aspect
totalement inconnu."
As-tu déjà pensé, "je souhaite faire face à quelque chose de très grave, pour savoir ce que c'est, pour savoir mieux écrire là-dessus ?"
Il se dirige sans un mot vers la porte du jardin et fait rentrer Tarwe en Topsy.
"Les chiens que nous avions avant ceux-ci," dit-il, "sont tous les deux morts.
Dans le temps nous en avions trois, l'un d'ailleurs fêtait son anniversaire et Molly, en guise de
cadeau d'anniversaire était allée faire une super-balade avec eux. Les deux plus jeunes se
concurrençaient énormément, ils poursuivaient un lièvre et ont été
fauchés par un camion. La mère des petits a été épargnée parce
qu'elle était un peu indolente, elle ne courrait pas aussi vite. Elle en a été
traumatisée, elle s'est retrouvée complètement paralysée, cela a duré
plus d'un an. Nous devions la porter pour sortir dehors. Ensuite nous sommes partis
en Amérique et là tout était terminé. Revenus à Amsterdam, elle recommença
à être paralysée. Je rentrais à la maison. Elle se plaçait devant le miroir, elle se regardait.
Elle pleurait.
Le mobilier de la maison de mes parents avait été mis dans un conteneur. Quand ma
mère est décédée, j'y suis allé, le conteneur était dans
un entrepôt sinistre. Il pleuvait, il pleuvait. Tout ce qui avait, des années durant, rendu service,
avait perdu toute signification. L'acheteur avait fait une offre à cent florins, plus tard il en donnera
cent cinquante. Bien trop peu.
J'ai gardé sa table à couture et la bibliothèque de mon père et aussi la table à
thé dans laquelle il y avait de petites coupes en verre avec des bonbons que je chipais.
Je savais ouvrir la petite porte sans bruit. Il ne fallait pas que cela se remarque. La dernière
fois que je me suis trouvé à ses côtés, ma mère m'a dit : "Pourquoi me
tourmentent-ils ainsi ?" Tu me demandes si je pense à quelque chose du genre : je désire
vivre quelque chose de très grave. Cela, j'y ai bien pensé, oui.
Mais la mort de mon père, de ma mère et de nos deux chiens est bien suffisante.
BIBEB - dans Vrij Nederland le 11 mars 1989 -

Michel Boll - mars 1987
J'aime imaginer les dialogues
Henk Romijn Meijer a 57 ans et il a publié, depuis le recueil de nouvelles de ses débuts, Consternatie en 1956, un total de 15 romans, recueils de nouvelles et d'essais. A l'étonnement de tous, paraît fin 1986 son premier recueil de poésies Resten van jou. Curieusement, il s'agit là en fait des premiers écrits de Romijn Meijer, dont l'édition, 35 ans auparavant, avait tourné court au dernier moment - à la suite de quoi Romijn Meijer s'était orienté vers l'écriture d'histoires courtes, remportant le prix Reina Prinsen Geerlig et fait ses débuts.
Bien que les appréciations par les critiques littéraires de son travail aient toujours
été positives, il fallu attendre 1983 pour qu'il élargisse le cercle de ses lecteurs.
Le roman Mijn naam is Garrigue - traitant d'un empoisonnement en France au
siècle dernier -
fut réimprimé rapidement plusieurs fois et depuis lors sont aussi parues des
rééditions d'oeuvres plus anciennes, comme le recueil de nouvelles
Onder schoolkinderen - à la suite d'une années d'enseignement dans
une école secondaire en Australie - et le court roman De stalmeesters -
une satire du marché de
l'art à Amsterdam - qui, regroupés avec le recueil Stampende mussen
forment un splendide quartuor que ne devrait pas manquer de posséder quelqu'un se targant d'avoir
dans sa bibliothèque de la littérature intelligente et souvent très spirituelle.
Dans les livres de Henk Romijn Meijer, on se parle beaucoup, comme auteur de dialogues,
il est sans égal.
Dans De stalmeesters, l'écrivain Peter Roskam appelle cela "La réciprocité
du comportement humain" : faire enrager, s'engueuler, commérer, insulter, raisonner - celui
qui a l'habitude d'utiliser ses yeux et aussi ses oreilles, peut s'en donner à coeur joie dans les
livres sus-nommés et aussi dans le gros volume Lieve Zuster Ursula.
Contrairement à ce que l'on trouve dans les livres de beaucoup d'écrivains, dans lesquels,
avec la meilleure volonté du monde, aucune voix ne se distingue d'une autre, les personnages de
Romijn Meijer ont pour la plupart une vraie épaisseur. Dans ce qu'ils disent, et surtout dans
la manière dont ils le disent, les personnages se mettent à nu. Ce que Romijn Meijer laisse voir
de l'apparence et de la superficialité des gens et des évènements est, pour un
lecteur attentif, largement suffisant pour trouver ce qui se passe et ce qui tourne autour des personnages.
La position du lecteur pendant la lecture diffère à peine de la place qu'il occupe dans la vie
quotidienne comme observateur.
Dans cette idée, Henk Romijn Meijer est un écrivain réaliste - et pas dans le sens
que ses histoires soient tirées de la vie courante, comme on le prétend malheureusement
si souvent : ses histoires sont tout aussi construites et "préparées" que celles de
n'importe quel écrivain de fiction. Au sens que Henk Romijn Meijer évite l'analyse et
le commentaire dans ses histoires, chaque chose et chaque personne se suffisant en soi. Naturellement
avec une pareille manière d'écrire, on court facilement le risque qu'il soit reproché
à l'écrivain la superficialité dont le lecteur se rend coupable.
Il a pris ce risque, et il le fait même quand il n'a plus d'éditeur, au début
des années 1970, en persistant dans sa façon de faire.
Qu'il n'ait pas fait l'objet d'une large notoriété vient non seulement du fait que la prose de Romijn Meijer adopte un ton particulier qu'un grand nombre de lecteurs n'apprécie pas tellement, mais aussi parce qu'il n'est pas dans sa nature de se mettre en avant comme personnage public et comme écrivain, alors même que depuis une vingtaine d'années, télévision et magazines jouent un rôle de plus en plus important dans l'émergence de la notoriété d'un écrivain. Même lorsque j'ai suivi pendant un an, chaque semaine, comme matière secondaire une conférence de Romijn Meijer - jusqu'à récemment il travaillait comme maitre de conférence lettré au Séminaire anglais de l'Université d'Amsterdam - je ne l'ai pas entendu une seule fois parler de ses propres livres. Qui ne savait pas auparavant qu'il écrivait, ne l'aurait jamais appris. Un homme sympathique, mais un petit peu étrange, c'est ce que je pensais de lui il y a six ans après les premières conférences. La conférence introductive était prévue par une chaude après-midi de fin d'été. Est apparu un homme bronzé et tanné, une allure d'étranger, qui, par sa tenue estivale, ses sandales et son petit sac à dos, donnait l'impression de faire une conférence sur la nourriture bio et les fèves de soja plutôt qu'un cours sur la littérature anglaise. Sans qu'il semble le remarquer lui-même, il passait constamment dans son exposé du néerlandais à l'anglais. Il parlait avec un tel enthousiasme des oeuvres littéraires que cela en semblait presque inconvenant, on ne faisait pas cela dans l'enceinte de l'Université. Après la troisième conférence, deux grosses étudiantes françaises abandonnèrent : nous avions alors eu les six heures de conférence et le mot focalisation n'avait toujours pas été prononcé, pas une fois parlé du point de vue narratif, pour passer sous silence la littérature de l'imaginaire, il n'était pas question de terminologie, il n'y avait pas une miette d'érudition, - cela portait seulement sur les livres - et de toute façon ce n'était pas le but recherché.
La semaine suivante, Romijn Meijer ne s'est pas présenté - il avait complètement oublié la conférence, il s'est ainsi excusé la semaine suivante, il était tellement pris par le dressage de ses deux nouveaux chiens dans son jardin. Cela ne se reproduira plus une fois, promit-il, et cela est exact, parce que cela s'est reproduit deux fois, pour diverses raisons. Après coup on peut en rire, mais longtemps après alors.
Par ailleurs, je me rappelle de lui comme l'un des rares universitaires qui savait encore que la littérature devait être plaisante à lire, et que l'objet premier des histoires n'étaient pas d'être écrites pour faire l'objet d'analyses universitaires, mais pour être lues.
L'interview se déroule au sous-sol de son domicile d'Amsterdam, qui se trouve si bas qu'on voit continuellement passer devant la fenêtre sur la rue toutes sortes d'intrigantes gambettes. De l'autre côté, cela donne sur un incroyable jardin, où l'on pourrait aisément élever deux chevaux - mais cela nous ne nous étendrons pas plus à ce sujet. Aux murs du salon, de splendides tableaux néo-réaliste dont je reconnais pour certains la description dans son roman Lieve Zuster Ursula. Sur toute la longueur sont installés seulement des rayonnages de livres. En bas par contre les étagères sont pleines de vieux disques de jazz. Un antique grammophone, un pupitre et une guitare. Une table couverte de correspondance.
Nous sommes en compagnie de deux chiens remuants qui raffolent manifestement plus des gens que moi des chiens. Parlant d'une voix tranquille, Henk Romijn Meijer répond en caressant de temps à autre une tête de chien, relativisant souvent les observations d'un petit rire doux.
Université
Vous avez choisi de quitter l'université. Quelles en sont les raisons ?
C'était depuis un petit moment une envie qui couvait, simplement parce que je n'y avais plus goût. Je me rappelle encore en 1959, l'excitation que j'avais ressentie quand j'ai été nommé. Je pensais alors : c'est formidable, tu vas pouvoir t'occuper de littérature et en interaction dans les cours avec des jeunes qui essaieront de s'y confronter. Je gagnais relativement peu alors, mais le travail était plaisant et captivant. Plus tard cela devint le contraire : je gagnais de plus en plus d'argent mais cela devenait toujours plus ennuyeux, surtout à la fin des années 60. Les nombreuses réunions se sont mises à empiéter de plus en plus sur le temps que l'on consacrait d'habitude à la littérature. Les années soixante-dix me font l'impression d'avoir été une réunion interminable. Selon moi, il n'en sortait jamais quelque chose de constructif. Beaucoup de gens contesteront cela et pourtant ils devront s'y plier. Il y avait aussi de nombreux conflits au sein du Séminaire anglais, à un moment donné c'est devenu tellement insupportable que j'ai voulu absolument le quitter. J'ai ensuite demandé un congé pour aller en Amérique, où je suis resté deux ans comme écrivain en résidence.
Lors d'une conférence, autrefois, je vous ai entendu soupirer que vous regrettiez que l'on ne puisse plus, comme dans l'antiquité, résoudre un conflit en en venant aux mains.
Ah oui (rire fort). C'est vraiment très amusant, oui. Naturellement c'est exagéré, mais j'aurais bien une fois poussé un cri de guerre. L'université est en effet pleine de laches, c'est une communauté qui tourne en rond, les gens se disent rarement la vérité - à quelques exceptions près. Chacun n'arrête pas de dire des saloperies dans le dos de l'autre, mais je suis tombé sur quelques personnes sincères. Pour la plupart on ne pouvait pas savoir.
Sur quoi portaient ces conflits ?
C'était une chose très fâcheuse, qui a traîné des années, je préfère laisser cela de côté. En ce qui me concernait personnellement, surtout plus récemment il y avait des gens par exemple qui m'en voulaient que je me concentre dans mes cours de littérature sur des oeuvres littéraires et que je ne travaille pas avec les 'concepts de base' en s'en tenant à des 'référentiels', trouvant que le cours sur l'écriture créative que je donnais n'avait pas sa place à l'université. Je trouvais cette prétention universitaire, qui était de bon ton, de plus en plus exagérée dans l'enseignement de la littérature, et l'on ne m'en savait pas gré. Et cela faisait beaucoup d'histoires que je passe les mois d'été dans ma maison en France. Je m'y enfermais là-bas pour travailler. J'avais mon travail de correction, des thèses et des essais, mais cela ne comptait pas. Quand le secteur non-lucratif a pris le pouvoir à l'université, d'un seul coup il n'a plus été possible de travailler chez soi. Pour tous il importait que l'on soit joignable, et on devait l'être pour l'étudiant très en retard dans son travail, qui voulait quelque chose dans les mois d'été. Même le professeur qui m'avait à l'époque nommé, s'insurgeait plus ou moins que l'on ne soit pas visible quelques jours par semaine parce que l'on devait s'occuper de littérature, sa discipline et non de choses secondaires. La plupart de ces conflits ont fini plus ou moins par se résoudre. Bien qu'il y ait eu des divergences d'opinion, je suis cependant parti sans conflit. En témoigne le fait que je donne en ce moment un cours de littérature Moderniste en tant que professeur invité. Dans le cadre d'économies budgétaires, ils ont proposé aux universitaires volontaires de plus de 55 ans, la catégorie la plus coûteuse, de prendre une retraite anticipée et cela m'a semblé rêvé, je peux maintenant aller et séjourner où je veux.
Vous résidez maintenant une grande partie de l'année en France. Est la forme d'une émigration revancharde, comme par exemple W.F. Hermans ?
Je ne suis pas à l'image d'Hermans anti-néerlandais, non vraiment.
Vous avez toujours exercé un emploi à côté de l'écriture.
S'installer seulement comme écrivain, ce n'était pas le cas de mon temps. Quand j'ai publié quelque chose pour la première fois en 1954, j'étais encore étudiant. Et après les études, j'ai d'ailleurs remarqué que cela n'était pas satisfaisant de se cantonner à l'écriture.
Dans Een blauwe golf aan de kust on y trouve : faire de la musique de jazz est le seul petit boulot qui ne m'a jamais semblé sympathique. Et aussi à partir d'autres remarques, je sens que l'enseignement n'a pas été exactement une vocation, que vous trouvez au fond cette profession ennuyeuse.
Oui, mais le désir de devenir musicien de jazz est quelque chose de très différent
du fait d'être un musicien de jazz. Je sais que c'est un boulot de merde et que l'on
est bien mieux enseignant. Et je ne déteste aucun collègue, au moins habituellement.
Je pense que je trouve pas extraordinaire d'avoir un emploi en règle générale, cependant,
être sans emploi est naturellement pire.
J'ai plus ou moins moi-même glissé vers l'enseignement, cela n'était pas une
option délibérée.
Je suis d'une manière générale assez sceptique sur le libre choix qu'auraient
les hommes.
On entend très souvent les gens dire : on m'a donné le choix et j'ai fait tel et tel choix.
Alors que, de fait, le choix s'est fait pour vous, normalement par la personne que vous êtes,
seulement on s'en convainc soi-même.
Ecrire est l'activité dont j'ai toujours tiré le plus de satisfaction. Je publie des
textes depuis que j'ai eu dix-sept-ans. Au début des années soixante-dix, je n'étais
pas en vogue, les gens voulaient des livres différents, je suis même resté pendant
un certain temps sans éditeur. Le fait que cela ne m'ait pas affecté quand cela s'est produit,
j'en conclus que cela m'apporte plus de satisfaction que n'importe quoi. C'est une attitude que
j'ai toujours eue, depuis très jeune.
Poésie
Dans le rapport du jury du Prix Reina Prinsen Geerligs 1954 figure le fai "qu'il
pratiquait cela, des exercices avisés et intenses depuis de nombreuses années."
Et que vos premières nouvelles témoignent "d'une grande expérience et maîtrise
stylistiques".
Ces nouvelles sont en effet apparues après avoir longtemps pataugé ?
J'écrivais dans ces années vraiment beaucoup, mais très étrangement pas
des nouvelles mais des poèmes,
bien quatre par jour. Leur qualité - il y avait beaucoup de déchet - était, je pense,
moins importante à mes yeux que le fait de l'avoir fait.
Vestdijk a dit quelque chose à ce propos, qu'il trouvait que la poésie était une bonne
école d'écriture pour de la prose. L'expérience que j'ai acquise à l'écriture
de poèmes, m'a exercé à un langage concis, que j'ai employé dans l'écriture
des histoires.
A proprement parler, je n'ai fait, préalablement à l'écriture de ces premières
nouvelles, vraiment aucun exercice d'entrainement.
En même temps que je vous raconte cela, je me rends compte que ce n'est pas aussi vrai,
car, à l'école, j'écrivais déjà beaucoup d'histoires et de longues lettres d'amour
à travers lesquelles j'ai bien du apprendre une chose ou une autre.
Vous avez brusquement arrêté d'écrire de la poésie et poursuivi l'écriture par celle de nouvelles. Comment cela est-il arrivé ?
L'époque à laquelle j'écrivais des poésies, au début des années
cinquante, était complètement insensible à cette forme de poésie. C'était
l'époque des années cinquante.
Les magazines et les éditeurs n'étaient intéressés que par la poésie
expérimentale.
Les Expérimentaux ont provoqué un raz-de-marée, des gens comme Lucebert se sont
emparé du marché avec une habilité particulière et des moyens spectaculaires
et ils ont coupé l'herbe sous le pied de tous ceux qui étaient dans leur parage.
Quand je me suis mis à écrire, de manière un peu improvisée, des nouvelles et que
je les ai envoyées au magazine "Maatstaf" et que cela a d'emblée eu du succès, cela
s'est passé très facilement.
L'énergie que j'avais pour écrire des poésies a alors disparu. La marche du temps
a fait son oeuvre, le minimum d'encouragement et de réactions qui m'était nécessaire,
m'a fait défaut.
J'avais terminé un recueil de poésies et remis à un éditeur mais il ne l'avait pas
retenu jusqu'alors.
Finalement le recueil Resten van jou est paru récemment, plus
ou moins fortuitement.
Kees Helsloot, qui avait une presse à bras, a demandé s'il pouvait imprimer une feuille in-plano
de ces anciens poèmes. Par la suite l'éditeur d'Optima s'est montré
intéressé et m'a demandé plus de poèmes. Cela m'a fait plaisir que des
jeunes s'y intéressent. Joost Nijsen a édité
Resten van jou.
Vous devez bien entendu garder à l'esprit que ces poèmes ont été écrit
il y a trente-cinq ans, bien avant que je ne me mette à écrire des histoires. Je les lis
aujourd'hui plus ou moins comme un étranger, je ne sais pas quelle association j'avais
quand je les ai écrits.
La solitude y joue un grand rôle. Peu de gens y figurent et les quelques uns présents sont souvent effrayants. Celui qui écrit des poèmes n'appartient pas vraiment au monde des humains, mais à regarder exactement comme on le fait d'un phénomène particulier de la nature, de quelque chose qui vous est extérieur, on peut aussi s'y retrouver soi-même.
Ou y voir quelque chose de son enfance, comme dans Het zwemfeest.
Oui. C'est un rappel de ma peur du grand monde. Après le brevet de natation, j'étais alors un petit garçon, j'ai été photographié, sans qu'on m'avertisse, par un énorme et violent flash lumineux au magnésium. Encore aujourd'hui, j'ai une peur bleue de ces flashs et aussi de tout ce qui pète et qui explose. Het zwemfeest montre comment on subit le monde comme un chaos, quelque chose où on n'y comprend rien. J'ai encore souvent cette impression, même si j'entends parfois y comprendre quelque chose.
Mijn naam is Garrigue - Je m'appelle Garrigue
Dans "Literair Moment" - un supplément joint avec une réédition spéciale de "Mijn naam is Garrigue" - j'ai lu : "Ce qui m'amène à écrire, c'est un étonnement permanent, une incrédularité constante de voir que les gens sont ce qu'ils sont."
Oui, certainement. Je suis par exemple souvent choqué par le petit nombre de gens qui sont
fidèles, de qui on aurait attendu d'autres comportements. Je ne suis pas été stupide
à en attendre de la loyauté, naturellement. On peut être indifférent à cela, mais il
y a toujours un espoir que vos attentes soient réalisées.
Dans le cas de Garrigue aussi, je suis aussi très étonné de voir comme les gens
peuvent se démolir, et même si c'est moi qui l'ai écrit, je les laisse tout faire
d'eux-mêmes.
Pour la plupart, vous tirez la substance de vos histoires de votre environnement immédiat.
Oui, sauf pour Mijn naam is Garrigue naturellement. Ce qui ne veut pas dire que
je rapporte des évènements sortis de toute réalité, ce que vous
suggérez. Là-dessus, je peux me mettre en rogne.
Il s'agit d'une fiction basée sur une réalité. La proportion entre la fiction
et la réalité diffère aussi suivant les livres.
Un livre comme De stalmeesters est en grande partie imaginé, même si vous
ne l'auriez peut-être pas dit, et Mijn naam is Garrigue est basé sur des
faits réels.
Dans votre introduction de Mijn naam is Garrigue vous vous justifiez là-dessus. Vous racontez comment ce livre est basé sur les 1200 feuillets manuscrits des dépositions des témoins lors d'une affaire judiciaire d'assassinat, qui s'est passée il y a cent ans dans un village de France. Le remarquable d'une telle introduction, c'est que beaucoup de lecteurs n'y verront qu'une convention littéraire, du style "manuscrit trouvé dans une bouteille" - et donc qu'il s'agit d'une histoire fictive.
On peut le penser, bien sûr.
Ce serait évidemment un joli scoop pour vous si je vous disais maintenant que j'ai en effet tout
inventé, mais ce ne serait tout simplement pas vrai.
C'était une histoire dont on parle parfois encore dans la région de France où se trouve
notre maison.
Lors d'un petit diner d'historiens locaux, une personne en est venue à dire qu'elle possédait
un dossier avec les déclarations des témoins d'une affaire judiciaire. Certes incomplet,
car à l'époque il y avait deux avocats impliqués et seuls les papiers de l'un avaient
été conservés.
La femme me l'a donné à lire en me recommandant : "A ne montrer à personne, bien sûr !"
Je m'y suis intéressé, à partir du moment où s'est imposée à moi l'idée
suivante : ceci est mon histoire, je dois faire quelque chose avec cela. Je n'ai pas non plus fait
voir cela à quiconque mais j'en ai quand même fait en secret une photocopie.
Mon épouse a déchiffré les feuillets manuscrits, puis je me suis mis à les lire
à tel point que je les savais plus ou moins par coeur. J'ai travaillé trois ans sur ce livre,
c'est à dire par moments, pas d'une seule traite, j'ai écrit à plusieurs reprises d'autres versions.
La première mouture débutait par un passage placé maintenant au milieu du livre,
quand Garrigue saute à l'eau pendant un déplacement judiciaire et essaie de s'échapper.
De ce fait, cela nécessitait une structure complexe avec des flash-backs. En fin de compte,
cette version ne me plaisait pas. En Amérique, où j'étais écrivain en
résidence, j'ai écrit une nouvelle version, chronologique, pour laquelle je pensais
en fin de compte avoir presque achevé le travail. Au cours de l'été en France,
je me mets à relire le texte et après une vingtaine de pages, cela m'ennuyait tellement que
j'ai recommencé une nouvelle écriture, mais sans jeter un regard aux déclarations
originales des témoins parce que celles-ci commençaient à faire obstacle.
Et dans cette version figure bien tout ce qui s'est passé, les chapitres sont décalés,
parfois un chapitre a été scindé en deux, etc... et dans cette version les
personnages sont alors véritablement devenus ce qu'ils sont dans le livre, si bien que des
témoignages originels, il n'en reste qu'une succession d'évènements.
Le ton et la manière de s'exprimer, la logique si souvent particulière de ces gens, cela
relève de moi principalement.
J'ai construit et créé les caractères des acteurs principaux, et imaginé une
quantité de personnages dans l'entourage.
L'affaire judiciaire se termine par un verdict très peu satisfaisant, et il reste beaucoup de points obscurs.
Cela s'est effectivement passé comme cela dans la réalité. J'ai laissé cet aspect
tel quel.
J'aurais pu terminer ce livre comme un thriller, avec un dénouement très rigoureux, mais cela
aurait été une simplification, j'aurais fait violence à la réalité et dans ce
cas je m'en serais voulu. Il y aurait eu alors dispartion de l'aspect humain au détriment du
côté thriller.
Il est clair que le juge a passé sous silence une chose ou une autre et qu'il y avait bien
plus de coupables. Il reste encore beaucoup de points non élucidées, et je n'ai pas
voulu les résoudre. Maintenant que cette affaire a reflué, c'est plus humain et plus beau.
Le livre est rempli de ragots et de mensonges, amis et voisins s'y raccomodent sans sourciller, avec comme incontestable point culminant, la femme Espitalier.
Oui, avec elle j'ai pris moi-même beaucoup de plaisir. Je trouve cela moi-même jouissif d'entendre les gens se quereller ou les entendre s'expliquer ou les entendre discourir. Ils disent "et ainsi" et l'un ou l'autre passent du coq à l'âne de façon inimitable.
Mais ce qui me gêne vraiment est qu'un critique, comme c'est arrivé pour Mijn naam
is Garrigue, décrive les personnages comme une bande de canailles, d'écervelés,
de crapules et ainsi de suite. Alors je pense : mon garçon, de quoi te mêles-tu, on voit que
tu connais peu les gens, penses-tu que les gens que tu fréquentes soient meilleurs ?
Ceux-ci ont d'autres habitudes et d'autres manières de s'exprimer, c'est tout. Je ne méprise
absolument pas ces gens, mes personnages.
Ce sont des gens ordinaires qui sont façonnés par les circonstances jusqu'à
être ce qu'ils sont, et ces conditions sont souvent terribles, c'est l'âpreté
de la condition sociale. Pour moi, ils représentent quelque chose de vraiment essentiel.
Ils sont beaucoup plus proches de la vie que nous, ils savent que la mort est une
réalité, ils sont durs et tenaces, et de la même manière, dans leurs querelles,
ils sont durs. Cela ne veut pas dire que je trouve ces gens sympathiques, mais peu
importe ? Je ne les regarde pas avec un oeil méprisant. Si je les avais regardé avec
mépris, alors je n'aurais pas tenu à écrire sur eux, oui vraiment.
Quoique votre point de vue dans Mijn naam is Garrigue soit objectif, vous aussi, vous ne savez pas qui est le coupable, il me semble que vous décrivez le docteur Garrigue, l'un des suspects dans l'assassinat de son père, avec beaucoup de sympathie.
Je laisse un peu planer le doute sur sa culpabilité, le lecteur peut ainsi lui-même se faire son opinion, mais il a aussi pour lui de très fortes circonstances atténuantes. N'oublions pas que le père est un tyran impossible. L'ambition principale du père Garrigue est que son fils devienne docteur. Il s'assure pour cela que son fils à Paris puisse disposer du maximum d'argent et puisse mener une vraie vie étudiante. Puis il revient de Paris comme docteur et alors tout à coup, il doit à nouveau être obéissant. Son père ne lui fait pas confiance. Il préfère finalement se faire soigner par des charlatans, et essaie de traiter son fils comme un garçon de ferme. En outre il accuse son fils d'être responsable de la mort de son frère et de bien plus encore.
Vous semblez - pour partie - vous identifier vous-même au jeune Garrigue. Cela s'apparente au thème père-fils, qui est tissé tout au long du livre d'une manière non explicite, ce à quoi au fond vous vous intéressez plus qu'à la question de l'assassinat.
Mon propre père était un homme terriblement dominateur, que je craignais par dessus tout, même
si ce n'était pas son intention de me faire peur. De sa propre enfance pauvre et difficile,
il en avait tiré une rigueur puritaine dans laquelle il nous éduquait. Ce que j'ai retenu de
cette affaire est le conflit irrationnel entre le père et le fils :
des objectifs qui vont totalement à l'encontre l'un de l'autre. Les bonnes intentions fonctionnent rarement.
Un père ne doit pas s'attendre à ce que son fils le comprenne, un fils a bien d'autres
choses en tête. Mon père était un homme inflexible, tout comme l'était
le père Garrigue.
Il voulait toujours le meilleur pour nous, mais il ne pouvait jamais me dire quoi que
ce soit directement, c'était un homme qui voulait seulement me guider et ce n'est
que bien plus tard, dans mes souvenirs, que je me suis mis à l'apprécier.
A cette époque, quand j'étais écolier, cela m'était seulement gênant et
agaçant.
J'étais très rebelle à l'école, surtout au début, je ne voulais pas travailler.
Plus tard, j'ai pensé : mais il a tout de même eu le culot de se rendre antipathique
à mon encontre, ce qui est somme toute pour un parent quelque chose de courageux.
Il y a peut-être encore un parallèle avec Garrigue, votre père ne vous reconnaît pas comme un écrivain ?
Cela a été très ambigu, ce n'est que récemment que j'ai découvert qu'il en était en fait très fier. A l'occasion d'une nouvelle sur mon père dans Bang Weer, j'ai reçu quelques lettres d'anciens élèves de mon père, montrant qu'il était très fier. Mais, attendez, il ne l'a dit qu'une fois et cela se passait dans un hopital de Groninge parce que son pacemaker ne fonctionnait plus. Quand il dit très explicitement à propos de Duivels oorkussen, qui se passe dans hopital : "Je trouve que c'est une excellente histoire." Quelle victoire ce devait être pour lui ! Aller jusqu'à un tel aveu, il en était manifestement capable seulement quand son rythme cardiaque tombait à moins de la moitié.
J'ai ressorti un compte-rendu anonyme de 1975 environ et il y avait dessus : "C'est mieux que du Vestdijk", nous disait monsieur Meijer il y a environ 15 ans de cela au cours principal de Zwolle quand il était amené à parler des bouquins de son fils et ainsi de suite.
Doux Jésus ! Je suis ravi de ne pas avoir été là. Je ne connaissais pas du tout cette critique. Comment est-ce possible de dire cela.
Het Kwartet - le Quatuor -
A la suite du succès de "Mijn naam is Garrigue", qui a fait l'objet de deux ou trois
rééditions, ont été réimprimés des oeuvres antérieures,
telles que le roman (musical) "Het Kwartet", sur quatre jeunes musiciens et leurs relations. Hans,
le personnage principal façonné à l'image de l'écrivain, lutte constamment contre une
douleur au bras et au cou entraînée par le fait de jouer du violon. A travers
Het Kwartet, j'ai pris conscience pour la première fois combien jouer de la musique
était physique.
Oh oui, fichtrement. Je souffre encore toujours du bras qui tient le violon, bien que j'ai déjà
arrêté de jouer du violon il y a longtemps. Chaque orchestre est plein de gens qui souffrent de
quelque chose. C'est un travail très dur, faire de la musique.
Il existe aussi naturellement beaucoup de gens qui sont par nature si détendus qu'ils n'en souffrent
jamais, mais pour la plupart, ce n'est pas le cas.
Et n'oublions pas que chaque instrument induit un désagrément : les trompettistes ont
une lèvre fendue, pour les clarinettistes c'est la lèvre inférieure qui se fend,
et jouer de la clarinnette à double anche est une épreuve. On a toutes sortes de cas
célèbres : Louis Armstrong a joué toute sa vie avec une lèvre fendue,
le sang coulait parfois de son visage. Et pour la guitare et la basse, il y a des grands manches et
des positions contre nature. J'ai toujours été attiré par la musique.
Pendant un certain temps j'ai joué du violon en passionné et plus tard beaucoup de guitare.
Le sens de la musique joue parfois un rôle dans les moments où je m'emploie à la
littérature. Je remarque parfois qu'une écriture arythmique me perturbe, dans le sens où
le récit n'est pas fluide, que cela manque de rythme.
Et lors de l'écriture des dialogues on ne peut se passer d'un certain rythme. J'ai eu de la veine
avec Het Kwartet, un quatuor à cordes est un petit univers très complexe, un microcosme dans
lequel tout arrive. J'ai fait partie moi-même d'un quatuor à cordes et j'en tire ainsi le côté métaphore
dont on a précisément besoin pour rendre un tel roman. Hans est un original dans Het Kwartet,
il ne perçoit pas bien ce qui se passe, il a toujours un train de retard.
Le personnage de l'outsider se retrouve aussi dans d'autres livres tels que "Bon Voyage, Napoléon" et "Stampende Mussen".
Je pense que c'est quelque chose de personnel. Je suis intrinsèquement un "loner",
un solitaire, je ne suis pas très "accro" à la vie sociale, cela a toujours été
le cas. Et je pense que c'est à cela que je dois cette particularité de caractère.
La manière d'être en dehors des choses a, pour moi, à voir avec la manière
d'écrire : quelque soit votre implication dans quelque chose, vous continuez toujours
à observer.
Dans certains cas la figure du personnage extérieur est à peine plus que l'oeil d'une caméra qui enregistre, sur ce personnage lui-même, on en sait d'ailleurs que peu de choses. Il a un bon oeil et une bonne oreille pour les problèmes relationnels, et les chamailleries de son entourage, mais sur ses propres relations, nous n'en savons rien. Tout comme nous ne savons pas grand chose de l'écrivain Henk Romijn Meijer à travers ses livres, et même rien dans ses interviews. Je trouve c'est admirable, mais peut-être est-ce aussi l'une des raisons pour lesquelles une grande popularité se fait attendre.
A mon idée, c'est avant tout une aspiration pressante du peuple néerlandais.
Un néerlandais estime toujours qu'il doit connaître l'auteur. Je ne trouve pas que je sois
obligé de donner jusque là. Moi-même je lis avec plaisir des confessions, mais je
n'éprouve pas le besoin d'en écrire. Il serait contre ma nature de faire cela. Et je
n'ai pas besoin d'exposer ma vie privée à Bibeb. Même dans mes livres, je ne voudrais pas
aborder mes propres liaisons, si j'en avais. Il est regrettable que ceci soit considérée
comme quelque chose de positif. Si bien que je n'ai que rarement écrit d'histoires sur mon
enfance après Consternatie. Il existe tellement de livres sur des gamins sensibles
et incompris. Je ne veux pas en dire du mal, mais je me suis aussi gardé d'écrire sur ma jeunesse.
Mais il y a tellement d'autres choses qui m'intéressent plus. Je voulais justement devenir
écrivain pour rompre avec cette jeunesse. Je préfère écrire un livre exotique
comme Lieve Zuster Ursula, qui était pour moi une sorte d'adieu à l'univers religieux.
J'ai vécu une jeunesse pleine de restrictions mais c'était pas un enfer. Que nous soyons
chrétiens n'était pas si mal que ça, nous étions des Réformés, et
c'est très différent de "zwartekousenkerk" comme par exemple ce que décrit
Maarten 't Hart dans De jacobsladder.
Je n'ai pas connu de choses épouvantables : les Réformés sont simplement un peu ennuyeux,
le-café-petit-bourgeois-du-dimanche-matin-après-la-petite-messe-à-l'église.
Je n'ai pas besoin d'analyser cela précisément, je le sais maintenant. Mais où que vous
soyez au monde, si vous vous retrouvez avec quatre néerlandais, il y en a toujours un pour raconter
sa jeunesse de réformé, et c'est assomant.
J'ai une idée très claire de mon père et de ma mère et je ne peux pas tout leur
reprocher, mais à un moment de sa vie on doit se demander : était-ce donc vraiment un tel
cadeau que d'avoir quelqu'un comme moi pour fils ? C'est une chose dont certaines
personnes n'ont jamais conscience.
Ecriture
Après les débuts, on trouve ensuite un trou de cinq ans, la première publication était-elle intervenue trop tôt ?
Les premières nouvelles, je les ai écrites quand j'étudiais l'anglais. Après mes débuts, j'ai d'abord travaillé très dur pour terminer mes études. J'ai eu un accident de la circulation pour lequel j'ai du faire de la rééducation et en fin de compte j'ai perdu une année. Je me suis marié et j'ai vécu ensuite quelques années en Australie. Là-bas j'ai donné des cours et j'ai écrit le roman Het Kwartet. Et auparavant, cela me revient soudain à l'esprit, un roman assez épais, sur mes années d'étude. Ce roman n'était franchement pas bon, et je suis content qu'il ne soit jamais sorti, il avait en effet tout d'un premier roman. J'ai fait un tas d'études. J'ai donc été constamment occupé pendant ces cinq ans.
Ecrire, est-ce ou était-ce pour vous une obsession?
Je trouve le terme "obsession" un peu romantique, "prétention" serait le mot, mais j'ai toujours fait cela plus qu'autre chose.
Entre Lieve Zuster Ursula et Bang Weer il y a un intervalle de cinq ans. C'était
l'époque où plus personne ne voulait éditer un de mes livres, au début des années
70, quand le monde se trémoussait aux sons de la musique pop. Mes livres se vendaient difficilement.
Lieve Zuster Ursula a été refusé par Arbeiderspers où la personne avec laquelle
j'étais en contact a perdu la vie dans un accident d'auto. Adriaan Morriën a lu le manuscrit du
livre. Il l'a trouvé très bon et l'a apporté chez De Bezige Bij -
l'abeille butineuse - et cela leur a demandé un grand temps de réflexion.
Quand Van Oorschot a appris l'existence du manuscript, il m'a offert spontanément de le publier.
Il a tenu parole, mais la vente était si désolante qu'il n'a pas voulu faire
ensuite Bang Weer. Il prévoyait une vente de 4 à 500 exemplaires.
Alors Bang Weer est passé d'un éditeur à un autre et cela a été
un moment très désagréable. Finalement Van Oorschot n'a pas pu supporter qu'un livre
qu'il appréciait ne puisse pas être édité, il alors l'a repris et
édité.
Et puis tout d'un coup la vente a dépassé les espérances, et la critique
s'est montrée élogieuse.
Je ne pense pas que l'on puisse faire de grandes prévisions dans cette sorte d'affaire.
C'est bien sûr une question de mode, comment savoir précisement vers quoi la mode va se porter ?
Cela n'a rien changé à ma manière d'écrire et je suis toujours content de ne
pas avoir essayé de suivre une mode.
J'ai continué d'écrire pendant ce "creux" comme cela me plaisait le mieux et maintenant
mes livres se vendent à nouveau, mieux que jamais. Ce ne sont pas des bestsellers, ce que je ne souhaite
pas d'ailleurs.
Travaillez-vous rapidement ou bien l'écriture est elle pour vous un exercice besogneux et une corvée ?
Dans Literair Moment j'ai écrit que si l'envie me prenait de vouloir écrire quelque chose, je pouvais prendre le temps de le faire. La société dans laquelle on vit ne réclame pas vraiment de la littérature, ils ne vous en accordent pas le temps. On doit vraiment s'y soustraire, prendre du recul. Je n'écris presque jamais à la maison, bien que j'y ai un coin pour cela, loin du téléphone et des bruits de la rue. J'écris plutôt vite, mais cela reste en plan longtemps. Disons un an, - cela allait, au moins jusqu'à récemment, quand j'avais encore un emploi - jusqu'aux vacances d'été suivantes. Le brouillon aux premières vacances, le texte mis au net aux suivantes. Je ne connais pas cette mortification sans fin de l'écrivain telle qu'elle existe chez Van Het Reve, je préférerais alors m'arrêter. Je prends très peu de notes, je ne tiens pas de journal. Avant que je me mette à écrire, il se fait très rapidement tout un cheminement dans ma tête. La première version, je l'écris vite et d'un seul jet. Parce que je pars du principe que le commencement n'est pas écrit, je n'essaie pas d'obtenir tout de manière bien précise. Si je me mets à cafouiller sur le début, je me retrouve déprimé, les améliorations viennent par la suite.
Habituellement j'écris quatre versions d'une même histoire, quelquefois beaucoup plus. Bien sûr il y a toutes sortes d'aspect de l'écriture qui ne sont pas agréables, je suis sujet de manière terrible à la crampe de l'écrivain au bras et à l'épaule - mais le résultat est très satisfaisant. On fait quelque chose qui est le meilleur de soi-même, et cela reste. Howard Nemerov disait cela très joliment : to get something right at last, pour obtenir quelque chose de précis tel qu'on veut l'avoir. J'ai le goût de l'effort.
Intrigue
Je trouve l'histoire "East Coker" - tiré de Bang Weer - un couple séjournant dans une famille anglaise, un jeune ménage, pour laquelle imperceptiblement ils s'occupent de tout et de la mère à l'esprit instable - comme la plus belle de vos nouvelles et elle contient beaucoup de propriétés qui caractérisent presque toute votre oeuvre. En partie pour ces propriétés, votre travail est apprécié par un nombre croissant de lecteurs, mais rejeté ou ignoré par un groupe encore plus important. C'est pourquoi il serait bien que vous expliquiez quelques-unes de ces caractéristiques. Qu'est-ce qui vous a donné l'idée d'écrire une histoire comme "East Coker" ?
A un moment donné, un évènement déterminé de votre vie se met à résonner en vous, alors on veut en faire quelque chose. C'est la plupart du temps des années après que cela se soit produit, quelque chose pour lequel on a pris lentement conscience que cela avait provoqué en vous une grande émotion. A partir du moment où l'on a réalisé cela, on n'a rien d'autre à penser que : "voilà ce sur quoi je vais écrire".
Beaucoup de vos histoires ne comportent pas vraiment de début et de fin, il y est peu question d'intrigue.
C'est vraisemblablement parce qu'en littérature je trouve que les histoires sans intrigue sont les plus belles. Cette absence a rencontré beaucoup d'opposition, ou un manque d'attention, ce qui est pire, car on ne peut pas se défendre face à une totale indifférence.Dans une histoire comme "East Coker", qui décrit plus ou moins une situation sans issue, je conçois une intrigue comme une insulte à la vie que l'on décrit. Un dénouement ne conviendrait pas.
Cependant il semble que le besoin d'une intrigue soit impérieux pour de nombreux lecteurs.
En premier lieu, c'est une question d'un conditionnement des lecteurs. Quand ils lisent un roman, ils
attendent une intrigue et si rien n'arrive, ils ne savent pas ce qui se passe. J'ai vu des étudiants
qui, devant une histoire sans intrigue de Joyce, ne comprenaient pas pourquoi c'était fini,
personne n'était mort, personne ne s'était marié, quelle était la suite ?
Mais à côté je pense qu'une intrigue répond aussi au souhait des gens d'avoir quelque
chose d'achevé dans une vie où rien n'est vraiment achevé.
La vie est au fonds une collection de "loose ends" - de choses inachevées. Dans la tradition
théatrale, les intrigues ont de tout temps joué un rôle important. Dans les tragédies
grecques, les spectateurs sont amenés à la catharsis, une solution aux passions. L'intrigue a
ainsi certainement droit à l'existence. Mais je suis seulement quelqu'un qui est plus satisfant quand
il n'y a pas d'intrigue.
Dans "East Coker" le suspense pour le lecteur sera résolu, mais d'une manière
différente.
Et si j'utilise toute une intrigue, comme dans mon roman Lieve Zuster Ursula, c'en est une où
cela tourne continuellement mal et où le dénouement est ajourné. Cela me parait plus proche
de la réalité qu'une intrigue où tout s'achève.
Votre aversion pour des histoires achevées est peut-être aussi la raison pour laquelle, "Requiem", dont beaucoup disent qu'il s'agit de la nouvelle la plus forte de votre premier recueil Consternatie, n'a jamais été rééditée ultérieurement ?
Oui, la fin est exactement ce sur quoi j'ai trébuché. - La mort d'un vieil homme mise en parallèle avec la mort de son canari, MB - Le plus drôle, c'est que c'est vrai - cela correspond bien avec la théorie de Van Het Reve disant que l'on ne peut pas normalement raconter certaines choses - c'est exactement ce qui s'est passé. Plus tard j'ai trouvé une fin superbement cohérente et j'ai décidé de ne pas la retenir dans Tweede Druk. C'est étrange, maintenant que vous le dites, que cela puisse être changé par une petite intervention.
Dialogue
Une autre caractéristique est que dans beaucoup d'histoires qui ne tournent pas autour
du pot, l'histoire est déjà commencée quand le lecteur commence à la lire
C'est délibéré, cela est dû à la façon dont je subis la vie. C'est quelque chose qui m'attire beaucoup, une histoire qui en apparence commence comme ça et dont on découvre lentement la trame. Mon expérience est que l'on vit ainsi des choses, des choses dans lesquelles on se retrouve impliqué et qui apparaissent d'abord comme un chaos dans lequel on se sent perdu. C'est peut-être comparable à quand vous arrivez dans une ville étrangère, la multitude d'impressions que vous subissez. Vous ne faites que reconnaître ce que vous connaissez : vous ne voyez pas ce que vous ne connaissez pas ou cela vous trouble seulement. Quand on ne consigne pas cela, on omet quelque chose qui est essentiel.
Il y a beaucoup de dialogues dans vos nouvelles, vous ne faites intervenir aucun narrateur
omniscient, vous ne donnez jamais plus que les pensées du personnage.
Vous semblez en principe ne pas accorder au lecteur plus d'informations que les gens qui passent
dans vos histoires.
Précisément, c'est comme cela que je le formulerai. C'est - encore une fois - le genre d'histoire que je préfère le plus. Combien de fois ne rencontre-t-on pas dans les livres le fait que l'écrivain explique le dialogue comme une sorte de super-analyste. Alors je me mets à la place du lecteur : «laissez-moi donc tranquille, cela je peux le faire moi-même». Je trouve bien mieux que l'on restitue une conversation en accord avec les traits de figure du personnage, mais que cela soit laissé ouvert pour le reste.
Peut-être est-ce pour cela, qu'en tant qu'écrivain, vous ne voulez pas prétendre tout savoir des personnages parce que dans la vie de tous les jours aussi, on ne peut pas savoir ce que les gens ont dans la tête ?
Oui, c'est bien cela, une sorte de modestie de la connaissance de l'humain, c'est pourquoi je ne veux pas avoir la prétention de tout savoir comprendre de quelqu'un. Il reste toujours une marge : que sait-on vraiment des gens ?
Les dialogues tiennent une place centrale dans vos oeuvres.
C'est vrai. Je n'ai pas seulement une bonne capacité de mémoire pour les dialogues, j'ai aussi une "capacité d'imagination des dialogues". Je part toujours des gens, d'un modèle, pas d'une idée. Dès que je les vois ou les entends, je les fais parler dans ma tête. Ils me racontent comme si c'était réel, qui ils sont. C'est ce que font somme toute les gens toute la journée, "je suis un tel" disent-ils continuellement, d'une manière compliquée. Ces personnes entrent dans ma vie à la manière dont elles s'expriment, chacun à sa façon, de manière caractéristique. Je reste obsédé par ces gens même aux moments où je n'écris pas. En écrivant, j'apprends à mieux connaître ces gens et leur façon de parler vient naturellement.Je vois la vie comme un grand méli-mélo de gens qui se parlent, chacun avec sa logique interne, qui ne correspond pas à la logique de l'autre. The hardest thing in life is to get your meaning across, "la chose la plus difficile dans la vie est de faire comprendre votre pensée", dit Howard Nemerov et là-dessus je suis d'accord. Quelqu'un dit : "Je ne me sens pas bien, j'ai mal au dos," et l'autre répond : "Oui, j'ai eu aussi mal au dos hier". Et c'est une conversation. J'aime beaucoup écouter les conversations. Parfois, si on est bien placé dans un café, on arrive à écouter trois conversations - sans que l'on comprenne exactement sur quoi portent ces conversations. Je trouve cela très plaisant. Ce bavardage prend pour moi une force symbolique, quelque chose comme : voilà, c'est ainsi que les gens vivent ensemble. Mes oreilles sont beaucoup mieux développées que mes yeux. Si je dépeins quelque chose de vu, je dois souvent retourner voir les choses de manière précise.
Pourquoi n'avez-vous jamais écrit de pièces de théâtre ?
Je fréquente peu le monde du théâtre, c'est un petit univers très égocentrique,
j'ai idée qu'ils préfèrent jouer leurs propres pièces. En outre mes dialogues
ne sont pas des vrais dialogues de théâtre, les gestes et les intonations se trouvent déjà
dans les mots, tandis qu'un texte de pièce est beaucoup plus simple.
Quand vous lisez le livret d'une pièce de théatre impressionnante comme U bent mijn
moeder de Joop Admiraal, vous vous dites : et c'est tout ?
C'est vraiment un genre totalement différent !
Réalisme
Dans l'Encyclopédie Moderne de la littérature mondiale - Moderne Encyclopedie van de Wereldliteratuur - on trouve sur Henk Romijn Meijer : "Du néo-ralisme hollandais - Mensje Van Keulen, Hans Vervoort, Jan Donkers - qui s'est manifesté dans les années 70, Romijn Meijer en est à la fois le précurseur et la variante mélancolique." Et : il a "une vision sombre, presque mélancolique".
Dieu me préserve de dire cela. Ecrivez, s'il vous plaît, que je suis un joyeux symboliste, cela me
semble plus proche de la réalité. Moi, je serais un précurseur de Jan Donkers ?
Voilà pourquoi cet homme me salue aussi fortement, qu'il a probablement aussi lu.
Heureusement, je ne lis jamais d'encyclopédies. Suis-je un précurseur du
"Néoréalisme hollandais" ?
Je ne sais pas ce que c'est.
Que vous avez des personnages qui voient immédiatement que quelqu'un a des petites croûtes aux commissures des lèvres et que grand-mère a posé son dentier sur la table pour manger parce qu'il la pince.
Oh oui, des petites mesquineries et criailleries. Mais cela n'a pas de sens de le dire ! Le type qui a écrit cela n'a jamais lu un de mes livres, je n'écris pas sur ce qui est étouffant ! Suis-je réaliste ? Non, au fond pas toujours. Un critique comme Tom van Deel a fait remarquer il y a longtemps qu'il y avait un vrai travail symbolique dans mes livres. Et ensuite : une vision sombre, presque naturaliste - il existe des gens peu habitués au domaine du pessimisme. Je n'ai pas le regard joyeux qui signifierait "Je sais comment cela s'arrange", mais sombre, non, je ne le suis pas.
Pourtant cela arrive souvent de voir figurer votre travail sous l'appellation "réalisme". Huug Kaleis a parlé d'une "copie parfaite de la réalité" : le journal Volskrant écrit "ses nouvelles sont une compilation de détails" et Wam de Moor dans De Tijd "sa technique d'écriture - retranscrire minutieusement et intelligement ce qui se présente et la manière dont c'est dit - vise à donner une tranche de vie, quelque chose d'un endroit captivant coupé du réel. C'est ce que l'on pensait de votre travail il y a une dizaine d'années, encore un peu maintenant, qu'il est plus question de mise par écrit brillante que d'écriture.
Voilà quelque chose qui me reste vraiment en travers, tout ce qu'on entend aujourd'hui,
heureusement beaucoup moins qu'auparavant. Pour commencer recopier la réalité est impossible,
comment devrait-on procéder pour le faire ? Un de mes collègues qui faisait un cours sur
l'écriture d'essais, donnait toujours comme dernièr exercice : décrivez un
vélo - et alors chacun cogitait à partir d'une approche différente.
On est obligé de choisir : est-ce que je vois le vélo comme un moyen de transport,
comme un objet technologique, et ainsi de suite.
De la même manière : si je mettais dix personnes dans cette maison - ce que je ne pourrais
d'ailleurs pas faire - et leur disait : décrivez cette pièce, j'obtiendrais alors dix
descriptions différentes.
Globalement, dès que vous vous mettez à écrire, vous le faites avec des critères
de sélection. Mon point de départ est naturellement la réalité, mais on
choisit et on regroupe, des choses captées chez l'un qui n'ont pas été entendues
chez l'autre, des choses insignifiantes sur lesquelles on met un coup de projecteur.
Au final, on arrive à une forme qui est bien loin de la réalité.
La réalité est le point de départ et pas le but à atteindre.
A propos de Lieve Zuster Ursula, composé pour une grande part de conversations
donnant, de toute évidence, l'impression d'une grande authenticité, les gens disent :
il s'est surement assis au milieu d'eux avec un magnétophone. Je ne possédais même
pas de magnétophone à cette époque ! D'ailleurs cela ne pourrait pas marcher, transcrire
ainsi une conversation ne donne qu'une énorme bouillie de mots. C'est ce dont Céline
disait toujours à propos de son écriture : que le résultat final, le texte, fasse
une impression d'être naturel, cela ne va pas de soi. Cette impression de naturel
procède de moyens très artificiels.
Lieve Zuster Ursula - Chère soeur Ursula -
Dans les romans Lieve Zuster Ursula et De stalmeesters vous donnez une vision très désabusée et en même temps très enjouée du monde des arts à Amsterdam, avec notamment les peintres du groupe neo-réaliste qui ont leur place aux galeries Snit et Santekraam, en réalité Siau et Mokum, dans les années soixante.
C'était un monde affreusement baroque, le monde du marché de l'art de ces années soixante, soixante-dix. C'est un monde incertain, précaire et c'est principalement cette précarité qui m'attirait. Morose et un peu miséreux mais agréablement extravagant, particulièrement à l'époque, cela n'existait pas ailleurs, personne ne vivait à l'économie dans ces milieux.
Comment vous êtes-vous retrouvé mêlé au marché de l'art ?
En visitant une exposition de Teun Nijkamp, au début des années soixante. C'était le début de la peinture neo-réaliste, et elle me plaisait beaucoup, et avait un aspect contrepoids à la puissance dominatrice de l'art abstrait expérimental. J'ai pu acheter à cette époque relativement bon marché toutes sortes de toiles qui sont maintenant très recherchées, entre autres d'Erfmann, de Sal Meijer, Teunn. Et quand on achète quelque chose à quelqu'un, cela crée parfois un lien d'amitié.
Lieve Zuster Ursula semble presque une expérience : comment des dialogues peuvent donner un livre.
Pour moi c'était sans conteste une expérience, je ressentais avant tout cela comme une libération. J'avais toujours écrit des histoires très austères et concises avec peu de spectaculaire et cela commençait à m'étouffer. J'ai réfléchi : j'ai pris des habitudes, ce serait bon de me pousser dans mes retranchements, pour faire les quatre cents coups. J'ai écrit ce livre dans une énorme pulsion d'écriture et avec un plaisir terrible. C'était une fête, toute cette imitation du style et cette parodie du langage de l'art de l'image.
Je découvris que je pouvais faire beaucoup plus avec le style que je n'avais fait jusqu'alors et que je pouvais laisser tout découler des dialogues. Cela a été une éruption verbale que j'avais moi-même allumée. Certains trouvaient que j'évoluais dans mon écriture, mais quand j'étais à l'écoute de cette sorte de gens, je continuais toujours à écrire les mêmes histoires qu'il y a trente ans.
C'était un roman à clef autour des peintres de la galerie Mokum de Dieuwke Bakker. Comment ont réagi les gens ?
Les personnages principaux n'étaient pas vraiment fâchés, Dieuwke Bakker par exemple s'en fichait, ce qui était très sport. Aussi nous sommes restés bons amis. Il y avait un autre personnage, une figure très mineure dans le livre, qui est devenu furieux. Qui m'a menacé à plusieurs reprises, qui m'appelait au téléphone au milieu de la nuit et était sur le point d'engager des hommes de main.Mais le ressentiment n'a pas du tout été un motif pour écrire Lieve Zuster Ursula. La seule histoire pour laquelle j'ai consciemment incorporé une part de rancoeur est Duivels Oorkussen, qui est basée sur un séjour atroce dans un hôpital d'Amsterdam. Là se passent un tas de choses désagréables qui auraient pu être facilement résolues, uns souffrance inutile. J'ai envoyé cette nouvelle au service où j'avais été admis et plus tard j'ai appris qu'une infirmière et un médecin sont tombés par bonheur terriblement malades. C'était il y a longtemps, et puis dernièrement j'ai entendu que cette histoire avait été citée à un congrès médical sur ce que l'on pouvait faire à propos de la douleur. Que des médecins, en s'intéressant aux patients, prennent une telle histoire comme "véridique" me rend fier. Une telle réaction est une de celles que vous n'aviez pas du tout prévue. Dans Lieve Zuster Ursula c'est très différent, c'est un livre très gai et toute la méchanceté des hommes que j'ai pu y montrer, c'est dans ce genre là : d'accord, les gens sont des créatures maléfiques.
Pourquoi un roman sur le monde de l'art et pas, par exemple, sur le petit monde actuel de la littérature ?
J'étais beaucoup plus proche des marchands d'art et des peintres. Ce qui me captive dans ce petit monde est que toutes les classes de la société y sont représentées. D'un côté le milieu de la pègre est présent et de l'autre on y rencontre aussi des ministres.
De stalmeesters - "Les maîtres d'écuries"
Ce petit roman De stalmeesters est dédié à Mathilde Willinck.
C'était une drôle de femme. Elle venait manger là. Elle essayait toujours de rester mince
à toute force, elle ne mangeait presque rien. Sauf un petit dessert qu'elle trouvait délicieux,
et alors elle ne se retenait plus. Alors elle se posait là dans sa robe à 8000 florins, elle enfilait
une petite bavette et allait s'asseoir à table. Par ailleurs c'était une personne très triste,
suicidaire.
Elle disait toujours : "Quand cela n'ira plus, je me suiciderai", je lui ai très souvent entendu
le dire.
Mais que cela ait été finalement un assassinat ou un suicide, ce n'est vraiment pas
dévoilé, là-dessus j'ai entendu tellement d'opinions et de commérages.
De Stalmeesters est écrit à l'origine sur une commande de la galerie Siau, cela
devait traiter de leurs peintres et de la galerie. Mon exigence personnelle était que ce soit
un livre qui s'inscrive aussi dans mon oeuvre, pas un livre jetable.
J'ai heureusement rejeté la première idée qui était d'incorporer de
sérieuses interviews journalistiques avec les peintres. De manière soudaine, alors
que je roulais à vélo à travers la ville, je sus comment il fallait faire, de cette commande
d'écriture d'un livre, pour en faire une nouvelle. Cela tourne autour de quelqu'un qui
épuise son cerveau sur la façon d'écrire un livre sur la galerie d'art Siau.
La forme permet également de couvrir mon manque de connaissance. On obtient alors quelque
chose de très rare : des personnes réellement vivantes apparaissent maintenant comme
des figures romanesques.
J'ai écrit ce livre en un temps record, en seulement dix-neuf jours.
Le personnage principal, l'écrivain Peter Roskam, prétend qu'il tient le commerce de l'art "comme exemplaire du comportement humain" et il est à la recherche de "la vérité de l'essence du contact humain." C'est une forme d'ironie dans laquelle on parle en même temps sérieusement de ce que l'on dit, à mon avis.
C'est une arnaque consternante. C'est la vérité et c'est une satire. Le livre se parodie lui-même. Quantité de choses qui sont amenées relèvent de la parodie, je suis bien d'accord.
Comme une parole de Peter : "Tout ressort du réalisme" et "la réalité est un début et une fin" ?
Certainement. L'imagination est brillante, mais elle doit toujours provenir d'une réalité
observée que l'on ne peut pas laisser de côté. On construit sur ce que l'on renifle.
Et si on n'est pas dans la réalité, alors on ne regarde pas, c'est ce que je veux dire.
Vous trouvez aussi cela dans la peinture néo-réaliste. Sal (Salomon) Meijer - les
gens se gaussent de son oeuvre, et alors qu'il est une figure majeure, il y a un tas de
gens qui sont dépassés.
Un homme remarquable et conséquent, il avait l'habitude d'étudier les choses à fond.
Willink racontait cette histoire : son père avait un garage en face du Rijksmuseum et Sal Meijer demanda au père de Willink s'il pouvait peindre de sa maison, parce qu'il pouvait très bien apercevoir le toit de l'autre côté. Et le père de Willink lui dit à la fin de la journée : "Alors Sal, avez-vous bien peint ?" Sal Meijer répondit : "Oui, vingt petites tuiles," Il avait peint vingt petites tuiles. Il trouvait que c'était un bon résultat. Mais ce regard méticuleux vers une réalité à côté de laquelle beaucoup passent, cela le passionnait. Des petites tuiles, une botte d'asperges. C'est seulement maintenant que les gens voient ce qu'il y a de beau dedans.
Jouer avec l'imaginaire et de la réalité dans les De stalmeesters me semble aussi un peu destiné à faire enrager les gens qui ne jurent que par l'analyse romanesque et l'autonomie du texte romanesque.
Certainement. C'est aussi une satire du lecteur et de ce radotage sans fin de tout un tas
d'écrivains et de critiques sur la fiction et la réalité comme thème.
J'ai rédigé récemment une postface pour une réédition de
Het Kwartet dans laquelle je mets encore une fois l'accent sur le fait que tout
s'est vraiment passé. Pour faire enrager les théoriciens qui disent : il ne doit
pas y avoir de réalité dans le contenu d'un roman, c'est de la fiction.
Merde alors, c'est permis. Je trouve que la "littérature pour la littérature"
est une manière non-innovante de lire. Cela nous concerne, concerne les gens, on doit
lire un livre comme un conflit humain et non pas comme un problème littéraire
à résoudre.
Je me suis toujours élevé contre la grande prétentions d'une science de
la littérature. L'objectivité n'est pas possible, les assertions sur la
littérature ne peuvent pas constituer des vérités absolues,
quelque soit le jargon auquel on pense. A un moment donné ils avaient imaginés
que l'on ne devait plus parler de "roman", cela devait être du "texte".
On ne peut plus se servir de certains mots pour l'analyse, les textes émotifs étaient
inadmissibles. Ce genre de théorie existe par la grâce d'un jargon. Certains termes n'ont
pas été traduits, ils s'emploient directement, ainsi on incorpore au
néerlandais des mots comme "performance" et "sentence". Tout simplement horrible.
Ils ne veulent pas voir qu'une théorie de la littérature n'est rien d'autre
qu'une opinion motivé. Il y a une obsession d'objectivité, nous aimerions considérer
cela comme une science exacte. Alors que les matières scientifiques sont en
train de devenir plus prudentes à propos de l'objectivité.
J'ai lu dans Disturbing the Universe de Fryman Dyson quelque chose sur l'observation qui
m'a frappé. Une expérience d'Einstein, Podolsky et Rosen démontre que
l'idée qu'un électron puisse exister dans état objectif qui serait
indépendant de l'observateur est insoutenable. Tous les physiciens acceptent le fait
expérimental que les recherches d'une explication qui serait indépendante
de l'observateur serait une chose impossible. Et quand on voit ensuite combien il est facile dans
les critiques de parler de la "vraie réalité" - même s'il n'y a pas danger !
Beaucoup de gens ne peuvent toujours pas se faire à l'idée que ce qu'ils ont imaginé
il y 20 ans ou même 2 ans puisse être complètement remis en question par quelqu'un d'autre.
Jazz
Parmi vous plus récentes oeuvres, il y a aussi Toen Reve nog Van het Reve was, un petit livre avec des chroniques sur Van het Reve, des souvenirs de rencontres des années cinquante ou soixante. Ce petit livre a été descendu en flammes par un critique dans NRC Handelsblad.
Là, j'ai été vraiment très surpris, cet homme a fait un coup de folie. C'était un petit livre sans aucune prétention, clairement écrit d'après une part d'admiration. Certes aussi avec quelques critiques, mais pourquoi ne pourrait-on pas faire de critiques sur Reve. Reve m'a écrit qu'il avait été particulièrement exaspéré par ce critique, il trouvait lui-même le livre très agréable et divertissant. Il a immédiatement profité de l'occasion pour me pousser sur la voie du catholicisme. En général, je ne tiens pas beaucoup compte des critiques et des réactions négatives. Quand les gens ont de sérieuses critiques à l'égard de mon oeuvre, alors ils n'ont qu'à lire un autre auteur. C'est tout à fait normal, on n'a pas besoin en tant que lecteur d'apprécier tout le monde.
L'année dernière est paru Een blauwe golf aan de kust, un livre rempli de souvenirs de jazz. Vous avez très souvent écrit à propos du jazz, mais ce qui m'apparait nouveau est cette passion, cette idolatrerie qui ressortent de ce livre. On rencontre constamment les termes de "l'excitation de l'ivresse", de "la vénération sans-merci", de "l'idolâtrie", "du pélerinage". Cela ne colle pas vraiment avec l'image que l'on a de vous.
Cette ferveur est quelque chose qui me vient de ma jeunesse. Une sorte de compensation à la vie terne de ces années. La vie pendant la guerre était effroyablement morne, les gens étaient abattus et silencieux, il n'y avait rien pour un jeune adolescent.
Cet intérêt pour le jazz est né pendant la guerre. J'en fis l'approche dans la maison
d'une amie, dont le frère ainé passait des disques de jazz. Je me suis
enthousiasmé pour cela.
Tout le monde trouvait cela abominable, ce qui était en soi un motif supplémentaire
pour en écouter. Je n'ai aucune idée pourquoi les uns en raffolaient et
les autres pas du tout.
C'était un monde dont je prenais connaissance et je me suis dit : voilà ce que je vais écouter
à la maison. C'est ce que j'ai pensé du fait que je m'ennuyais à la maison, que mes parents
faisaient des choses ennuyeuses et que les gens qui venaient à la maison étaient ennuyeux.
On ressent alors le besoin d'une sorte de rebellion et le jazz représenta à ce moment-là cette
rebellion. Cela avait et a quelque chose de libérateur, cela m'apportait une existence
personnelle dans laquelle je pouvais me réfugier et où personne ne pouvait s'immiscer.
Pourquoi ai-je eu un faible pour le jazz dans cette improbable Zwolle, je ne pourrais
toutefois pas l'expliquer précisément.
Pourtant vous montrez dans "Uptown Downbeat" - dans Stampende Mussen
- l'autre face du monde du jazz, un milieu triste rempli de carrières ratées, de drogues,
d'ambitions déçues.
C'est naturellement une image très réaliste. C'est une arène ouverte dans laquelle un musicien se doit d'être, sinon il disparaît, il meurt ou il termine en vendant des chemises dans un supermarché. En dépit du fait que le jazz soit pour moi une sorte d'Albanie musicale - complètement inaccessible et d'où, une fois que l'on a réussi à y rentrer, on veut en ressortir immédiatement -, Henk Romijn Meijer souhaite me passer quelques morceaux remarquables de sa collection de vieux disques de jazz sur un antique grammophone qui a presque 60 ans. Ce fut tout un cérémonial pour sélectionner les disques, rechercher l'aiguille idéale et remonter la manivelle. Il reste debout tout près du grammophone, scrutant attentivement. C'est Louis Armstrong et le disque va commencer par un solo bien connu, si je veux bien prêter attention. C'est lancé - non, cela ne sonne pas du tout bizarre. Un son très dynamique, actuel. Joué avec une lèvre fendue, de la même manière.
"C'est dommage que tu ne l'aies pas connu," dit Henk Romijn Meijer généreusement, mais un peu sur le ton que l'on adopte quand on contemple un magnifique coucher de soleil avec un aveugle.
Gerrit Komrij est passé une fois ici, et il était fasciné par tous les vieux objets. J'avais mis quelques disques pour lui et alors il m'a demandé me prenant à part, d'une manière solennelle : "Henk, de quelle manière ceci est-il moins bon qu'un enregistrement moderne ?" "A aucun égard, lui répondis-je," "à aucun égard !" Et Gerrit hocha de la tête signifiant qu'il comprenait ce que je voulais dire.